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parce que la loi le défend. Comment ici, dans le mystère, en l’absence de l’accusé et de l’accusateur, pourraient-ils faire sans contrôle ce qu’ils n’ont pu faire en public ?

Il faut que dans la loi un texte bien formel, — et bien étrange, — consacre cette anomalie.

Or ce texte n’existe pas. Un tel conciliabule n’est point prescrit, ni prévu par le Code ; il ne constitue qu’une dangereuse pratique. « Une communication particulière et secrète du président avec les jurés, dit un criminaliste[1], ne semble-t-elle pas menacer l’indépendance de ceux-ci ? N’est-il pas difficile d’admettre que ce magistrat puisse leur donner des renseignemens qui ne soient pas contredits, leur affirmer des faits qui ne soient pas discutés ? Ne pourrait-il pas émettre ainsi une opinion qui influencerait l’opinion du jury ? Et quand il maintiendrait ses explications dans les termes d’une stricte impartialité, ne suffit-il pas que l’accusé puisse suspecter une telle communication et s’inquiéter de l’indépendance de ses juges pour qu’elle doive être interdite ? » Qui pourrait nier la justesse de ces remarques ?

Nous n’avons pas dissimulé qu’à notre sentiment le code d’instruction criminelle a mal réglé les rapports du jury avec la Cour, du magistrat populaire avec le magistrat professionnel, et nous croyons qu’il y a dans cet ordre d’idées des réformes à tenter, des formules nouvelles à trouver ; mais, en attendant, restons dans la loi ; telle qu’elle est, elle vaut encore mieux que beaucoup de pratiques qui tendent à se substituer à elle, et qui, toujours dirigées par les intentions les plus pures, se retournent néanmoins contre ceux qui en font usage.

Tout est faux et contraint dans l’entrevue du président avec le jury. Voilà des hommes irréprochables qui se comprendraient vite s’ils pouvaient parler à cœur ouvert ; ces jurés (nous l’avons vu récemment) sentent parfois leurs méfiances se transformer en un courant de sympathie qui les entraîne vers un président humain et loyal ; qu’importe ? l’entente ici est impossible. On est réduit aux demi-mots, à l’expression de certaines tendances, et finalement, les malentendus se produisent ; on s’est mal compris, on n’a pu tout dire, et, sur quelque incident, il arrive que l’opinion publique déchaînée fait porter à un homme tout le poids d’une tradition aussi périlleuse qu’étrangère au vœu de la loi.

Enfin, le président a quitté les jurés, et aussitôt après son

  1. Faustin Hélie, Traité de l’instruction criminelle, t. IX, p. 177.