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âme, enfin Une Fleur à vendre. Mais qu’était-ce que trois romans — cinq volumes en tout — auprès de l’énorme bagage, auprès des dix, vingt, trente histoires, plus pathétiques, plus terrifiantes les unes que les autres, écrites par Paul Lacroix tant sous son propre nom que sous le pseudonyme demeuré célèbre du Bibliophile Jacob ?

C’est sous ce nom d’emprunt qu’il avait produit en 1829 ces Soirées de Walter Scott qui avaient assuré le succès de l’entreprise de Renduel. Ce fut encore sous ce masque transparent qu’il publia à la même librairie les Deux Fous, histoire du temps de François Ier ; le Roi des Ribauds, histoire du temps de Louis XII ; la Folle d’Orléans, histoire du temps de Louis XIV ; Vertu et Tempérament, histoire du temps de la Restauration ; les Francs-Taupins, histoire du temps de Charles VII ; la Danse macabre, histoire fantastique du quinzième siècle ; Pignerol, histoire du temps de Louis XIV ; Un Divorce, histoire du temps de l’Empire ; puis enfin Mon Fauteuil et Quand j’étais jeune, souvenirs d’un vieux, histoires don ne sait quand. Toutes les époques de notre histoire y avaient déjà passé, que l’esprit inventif du romancier semblait toujours intarissable ; si bien qu’il put recommencer la série avec d’autres éditeurs et fournir encore au public palpitant quantité de nouvelles histoires de tous les temps.

Si abondante qu’elle soit, la correspondance des deux frères avec Renduel est malheureusement moins riche que leur imagination romanesque, et il suffira de reproduire une lettre de chacun d’eux. La première est d’un malade à court de santé et d’argent ; la seconde d’un esprit susceptible et prompt à se fâcher pour l’incident le plus inoffensif.

Mon cher ami, je suis depuis quinze jours avec une inflammation d’entrailles et souffrant comme un damné. — Voilà ce qui m’a privé du plaisir de vous voir si longtemps. Cependant je vais mieux, j’ai maintenant la force de corriger mes épreuves.

Les médecins et les apothicaires m’ont ruiné, ruiné complètement, si bien que j’ai recours à votre complaisance et vous prie de m’avancer trois cents francs. Je présume que cette somme ne vous gênera nullement et elle me sera d’un grand secours.

Si vous pouviez ce matin les remettre au porteur, vous m’obligeriez beaucoup.

Votre ami dévoué,

JULES LACROIX.


21, mercredi.

Mon cher Renduel, j’ai été plusieurs fois vous voir avec l’intention de vous entretenir sur un sujet plus important et plus délicat qu’une affaire d’intérêt ; mais je n’ai jamais pu me trouver absolument seul avec vous pour entamer une question qui veut être traitée dans le tête-à-tête, puisqu’il