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l’eau-forte, une par pièce ; mais elles déplurent à Musset, qui n’en voulut pas ; les planches furent brisées et tout le travail de Nanteuil se trouva perdu[1]. Les relations entre Renduel et Alfred de Musset cessèrent de la sorte, et lorsqu’en 1834 celui-ci voulut faire deux volumes de ses pièces en prose, cette seconde série du Spectacle dans un fauteuil fut publiée à une librairie innomée qu’on sut plus tard être celle de la Revue des Deux Mondes : là du moins il fut servi comme il désirait l’être, et n’eut même pas à refuser de vignette ou de croquis de Johannot ou de Nanteuil.

Paul de Musset, lui, resta plus longtemps fidèle au libraire qui avait accueilli son premier volume et donna successivement à Renduel trois romans ou recueils de nouvelles, d’allure distinguée et de bon ton : d’abord la Table de nuit, équipées parisiennes, son livre de début ; orné d’une charmante vignette de Tony Johannot ; puis Samuel, roman sérieux, accompagné d’une eau-forte de Nanteuil ; et la Tête et le Cœur, nouvelles équipées, qui retrouvèrent le succès des premières. Il donnait parfois à des amis intimes la primeur de ses romans, afin d’avoir leur avis, d’étudier leurs impressions, et, dans ce cas, il n’oubliait pas, bien entendu, d’inviter à ces lectures en famille son éditeur pour la précieuse santé de qui il affectait d’être aux petits soins :


Mon cher maître,

Est-il convenu que vous venez me voir ce soir ? — et à quelle heure viendrez-vous ? — Il y aura verre d’eau sucrée pour votre estomac paisible et abat-jour sur la lampe pour vos yeux malades. Nous serons seuls absolument parce que nous avons à causer.

Tout à vous.

PAUL DE M.

Soyez donc assez gentil pour remettre au porteur l’exemplaire susdit de la Table de nuit. Je suis embêté depuis huit jours par un clou à la cuisse qui m’empêche de marcher, ce qui m’a empoché de réaliser le projet que j’avais de vous aller voir pour vous prier de venir chez moi ce soir vendredi, entendre une lecture que je fais à mon frère et à deux amis seulement ; tâchez d’y venir. Je commencerai à huit heures et demie précises. C’est un petit roman, où il y a de tout. Je serais bien aise que vous le connussiez. Ma mère est à la campagne. Nous serons seuls dans mon salon avec bière et tabac.

Tout à vous.

PAUL DE MUSSET.

28 juin.

  1. Ces gravures sont de toute rareté. Asselineau doit se tromper en en marquant quatre et lui-même ne doit pas avoir vu le frontispice qu’il indique, car il n’aurait pas manqué de le décrire comme il fait toujours pour les dessins qu’il a vus. Renduel avait fait tirer spécialement pour lui, sur papier teinté vert, un exemplaire du Spectacle dans un fauteuil, avec les gravures de Nanteuil, et il les avait aussi réunies en épreuves sur une seule feuille. Dans le volume comme sur l’épreuve, qui sont à présent chez moi, il ne se trouve que trois gravures : double indice qu’il n’y en eut jamais plus.