Renduel ; il le connaissait même assez peu pour écrire son nom par un a ; et cependant le libraire, qui n’avait jamais eu avec Dumas que des relations de hasard, qui n’avait jamais conclu d’affaire avec lui, n’hésitait pas à lui rendre service, à ce grand prodigue. Après tout, cela ne valait-il pas mieux que de désobliger un excellent homme, et cette façon si simple de procéder, même entre étrangers, ne prouve-t-elle pas quel esprit de solidarité guidait alors tous les gens qui occupaient une place quelconque dans le monde des lettres ?
Un des plus besogneux, un de ceux qui savaient le moins calculer, était Charles Nodier, auquel ses nombreuses publications si productives, ses traitemens comme membre de plusieurs académies, sa belle place de bibliothécaire à l’Arsenal, logé, chauffé, éclairé, etc., ne pouvaient suffire pour combler ses dettes de jeu : chaque jour il s’efforçait de s’acquitter et chaque nuit il se remettait à jouer, perdant sans émotion, disait-il, gagnant sans plaisir. Nodier publia chez Renduel, dès l’origine ou en réédition, quantité d’ouvrages de tout genre : Contes en prose et envers, la Fée aux miettes, Jean Sbogar, Mademoiselle de Marsan, le Peintre de Salzbourg, Adèle, Thérèse Aubert, Rêveries littéraires, morales et fantastiques, Smarra, Trilby, les Tristes, Hélène Gillet, Souvenirs de jeunesse, Souvenirs et Portraits, le Dernier banquet des Girondins, les Notions élémentaires de linguistique. Il avait apporté chez le nouveau libraire la plupart de ses productions antérieures, de façon qu’en réunissant tous ces romans, tableaux d’histoire et travaux d’érudition, en refondant les anciens avec les nouveaux dans une édition uniforme, Renduel put, de 1832 à 1834, donner au public toutes les œuvres principales de Nodier en douze forts volumes, auxquelles il convient d’ajouter une nouvelle : le Dernier chapitre de mon roman, écartée de la collection générale pour ses allures quelque peu licencieuses. Un treizième volume était même annoncé qui ne parut jamais : Monsieur Cazotte. Et tout cela représentait de grosses sommes à toucher. Aussi ne se passait-il pas de semaine où Renduel ne reçût quelque billet vivement tourné, c’est vrai, mais dont il connaissait le fond, sans même avoir besoin de l’ouvrir.
Mon cher ami, pardonnez-moi de vous talonner, mais c’est aujourd’hui le 3 avril 1833. Il me sembloit que notre marché étoit pour le 1er ou le 3, et je le saurois mieux si vous m’aviez renvoyé mon double. Faites-moi donc le plaisir de remettre deux cent cinquante francs à mon portier et des épreuves, s’il y en a. Je suis diablement pressé selon l’usage avec lequel j’ai l’honneur d’être
Votre ami.
CHARLES NODIER.