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précis d’une doctrine jusque-là seulement entrevue. Puis vient la période de production artistique : et ce sont tour à tour les trois premières parties de l’Anneau du Nibelung, puis Tristan et Parsifal, qui prennent forme dans la pensée de Wagner. Et à cette période se rattache encore un des événemens les plus mémorables de sa vie : la connaissance qu’il fait, au printemps de 1854, de la doctrine philosophique de Schopenhauer. « Ce fut pour moi, dit-il, comme un présent du ciel dans ma solitude. »

De 1859 à 1866, Wagner tente un nouvel effort pour réaliser, par les moyens ordinaires du théâtre, l’idéal d’art qu’il porte désormais clairement formulé en lui. Des occasions s’offrent de se faire jouer à Paris, puis à Vienne, puis à Munich : il sort pour quelque temps de sa retraite, reprend goût à la vie active.

À Paris c’est, le 13 mars 1861, l’inoubliable représentation de Tannhæuser. « Mais lorsque l’on voit, dit M. Chamberlain, la part prise par les Allemands à cette scandaleuse aventure, lorsque l’on s’aperçoit que l’échec de Tannhæuser à Paris ne fut point le fait du grand public, mais de la tyrannie de la petite presse et des barons de la finance, et lorsqu’on songe enfin à toutes les amitiés que rencontra Wagner dans cette ville étrangère, on ne peut s’empêcher de protester contre l’idée, aujourd’hui si répandue chez nous, que la France a montré moins d’intelligence que l’Allemagne pour l’œuvre wagnérienne. C’est sur le désir exprès de Napoléon III, et sans la moindre sollicitation de la part de l’auteur, que fut décidée la représentation de Tannhæuser, et cela à un moment où l’intendant de l’Opéra de Berlin hésitait encore à laisser jouer des ouvrages de Wagner. Celui-ci d’ailleurs ne tarit pas en éloges sur la bonne volonté que lui a témoignée tout le personnel de l’Opéra, et sur le plaisir qu’il a eu à pouvoir enfin assister à une exécution un peu parfaite de l’une de ses œuvres. « Tout ce que je demandais je l’obtenais aussitôt, sans égard à la dépense : et la mise en scène était réglée avec un soin dont jamais jusque-là je n’avais eu l’idée. » Et il loue ensuite le public parisien de « sa bienveillance », du « sentiment de justice qu’il a trouvé chez lui ». Aussi la représentation de Tannhæuser ne lui a-t-elle laissé — c’est lui encore qui le dit — que les souvenirs les plus agréables. » C’est en effet à Paris que pour la première fois un groupe d’hommes intelligens et instruits a reconnu en lui autre chose qu’un simple musicien, et s’est expressément rangé autour de lui comme autour du représentant d’un nouvel idéal. »

Rien de pareil à Vienne, ni même à Munich, où la représentation de Tristan et Isolde, imposée par le roi de Bavière, — et qui fut au reste, elle aussi, une représentation modèle, — ne valut en fin de compte à Wagner que mille ennuis et mille déceptions. Aussi est-ce avec joie qu’il revint en Suisse en 1865, bien résolu désormais à n’avoir