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aura désormais un caractère social ; mais ceci doit être entendu dans un tout autre sens que ne l’entendent nos socialistes. » Autant de thèses en apparence contradictoires : elles trouvent leur conciliation dans la doctrine philosophique et morale de Richard Wagner.

Dans le domaine de la philosophie, Wagner a eu deux maîtres : Feuerbach et Schopenhauer. Mais ni l’un ni l’autre, en réalité, ne lui ont donné autre chose que des formules, où il a fait entrer ses propres idées. De Feuerbach en particulier, M. Chamberlain a très clairement démontré que Wagner l’admirait sans presque l’avoir lu, et seulement parce qu’il le croyait l’adversaire de la philosophie scolastique. L’influence de Schopenhauer a été sur lui infiniment plus profonde ; mais il n’a connu Schopenhauer qu’en 1854, lorsque sa doctrine était déjà toute tracée, et qu’il l’avait même déjà exposée dans ses premiers Écrits théoriques. Et M. Chamberlain démontre très nettement que, pour le principe essentiel de la doctrine, Wagner a refusé jusqu’au bout de subir la métaphysique de Schopenhauer. Il était, lui aussi, pessimiste, et lui aussi, en un certain sens, considérait le renoncement à la volonté comme la voie du salut. Mais il n’admettait point que la souffrance et le mal fussent, dans le monde, des élémens éternels. Et personne au contraire n’a affirmé avec plus de force la possibilité d’une régénération.

Notre société moderne, en effet, lui apparaissait comme une société dégénérée. C’était notre soi-disant civilisation qui, suivant lui, avait achevé d’éloigner l’homme de sa destination véritable. Et parmi les causes principales de la dégénérescence il citait l’argent, le mélange des races, l’abus de la nourriture animale. D’où résultait, pour lui, une morale toute différente de celle de Schopenhauer, une morale dont la compassion était, en vérité, le premier principe, avec le renoncement à la volonté égoïste, mais qui comportait ensuite une abondante série d’actes, des actes désintéressés, charitables, uniquement destinés à la régénération de la société humaine. Et la plus noble, et la meilleure de ces sources de rénovation était, pour Wagner, l’Art, sous la forme du drame purement humain. Les lecteurs de l’article de M. Chamberlain savent déjà ce que Wagner entendait par ce terme, et les conclusions esthétiques qu’il a tirées de sa théorie de « l’art régénérateur ».

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La troisième partie du livre est consacrée aux drames de Richard Wagner. M. Chamberlain y a repris quelques-unes des idées qu’il avait exposées déjà dans un ouvrage précédent, dont nous possédons, fort heureusement, une excellente traduction française. Le caractère essentiel des drames de Wagner est, suivant lui, d’être des drames, et que