Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/236

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans la matière. Mais, ces réserves faites, nous restons d’avis que, si l’arbitrage a jamais une application utile et en quelque sorte indiquée par la nature des choses, c’est entre les gouvernemens européens et. les gouvernemens américains, pour les contestations territoriales qui peuvent s’élever entre eux. Quelque important que soit l’objet du litige, il l’est rarement assez pour justifier l’emploi de la force ; et le plus sage, à coup sûr, est de soumettre le litige à un tiers éclairé et impartial. Le tout est de bien choisir celui-ci et de préciser avec soin la question qu’on lui pose. Sans aller jusqu’à blâmer l’Angleterre d’avoir voulu enlever à l’arbitrage la solution d’une partie du conflit, — car enfin elle avait, comme nous l’avons reconnu, quelques bons motifs à faire valoir, et puis cela ne nous regarde pas, — il nous sera permis de dire que la France a toujours cherché à dénouer par des arbitrages les difficultés qu’elle a pu avoir avec l’Amérique. Elle en a eu une, il y a quelques années, avec un État européen, la Hollande, au sujet de leurs communes frontières en Guyane : la Hollande et nous, avons choisi un arbitre, qui nous a donné tort, et nous nous sommes inclinés. Il est vrai que la Hollande, si elle a comme nous des colonies en Amérique, est comme nous un État européen ; mais il n’en est pas de même du Brésil. Or nous avons, depuis de longues années, une contestation avec le Brésil au sujet de nos frontières, et nous n’avons pas attendu les incidens de ces derniers jours pour prendre l’initiative d’une proposition d’arbitrage. Si les États-Unis veulent absolument s’entremettre entre nous et le Brésil, nous ne voyons aucun inconvénient à ce qu’ils le fassent, pour déterminer ce dernier à se rallier à notre proposition. Il est donc très improbable que nous nous trouvions un jour à l’égard des États-Unis dans la situation où est aujourd’hui l’Angleterre. L’arbitrage est notre règle, à la condition qu’on ne nous l’impose pas. Mais l’arbitrage, quelle que soit sa valeur intrinsèque, ne découle pas comme une conséquence logique et forcée de la doctrine de Monroe, dont on a si souvent parlé depuis quelques jours.

Il en a été question dans le message présidentiel de M. Cleveland, et beaucoup plus encore dans la longue dépêche que M. Olney, secrétaire d’État aux Affaires étrangères, a adressée à M. Bayard, représentant des États-Unis à Londres, à la date du 20 juillet dernier. C’est un bien étrange document que cette dépêche. Nous ne dirons pas qu’en reproduisant la doctrine de Monroe, il la dénature positivement, mais il semble s’appliquer, sous une forme pédante et gourmée, avec d’insupportables répétitions et une lourdeur de main désobligeante, à en accentuer tous les côtés fâcheux. On est obligé de rappeler que la doctrine de Monroe n’est, après tout, qu’une doctrine, qu’elle n’a pas d’existence internationale, qu’elle n’a été acceptée par aucune nation, pas même par les États-Unis, qui ne l’ont jamais consacrée par un vote régulier. Et qu’est-ce que cette doctrine ? Pour la bien