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session du sol et de répéter indéfiniment les essences et les individus. » Il n’y avait guère d’angiospermes ; par conséquent pas de fleurs, pas de couleurs, pas de fruits renfermant les graines dans des péricarpes charnus et savoureux. On ne rencontrait pas les ombrages de nos chênes, de nos hêtres et de nos autres arbres forestiers dont les feuillages capricieux, variés, offrent des combinaisons infinies. Les Cycadées et les Conifères ne sont pas sans beauté, mais leur régularité est monotone. S’il était permis d’employer une telle expression, je dirais qu’ils semblent être une œuvre mathématique encore plus qu’une œuvre artistique. En résumant ce que Saporta nous a appris des temps qui forment le milieu de l’ère secondaire, on peut croire que nos pays avaient alors une végétation moins différente que dans l’ère primaire, mais encore très différente.

La flore infra-crétacée de l’Europe a été peu étudiée jusque dans ces derniers temps. C’était grand dommage parce qu’on devait penser qu’on y découvrirait l’énigme de la séparation tranchée qui semble exister entre la végétation ancienne et la végétation moderne. Ainsi je viens de dire que nos continens jurassiques étaient couverts surtout de Fougères, de Cycadées et de Conifères ; au contraire, sur les continens crétacés ou tertiaires, ce qui domine ce sont les monocotylées et dicotylées chargées de fleurs et de fruits. D’où viennent-elles donc ? D’où viennent leurs fleurs et leurs fruits ? Comment des feuilles se sont-elles transformées pour constituer les sépales et les pétales qui enveloppent les organes sexuels et pour construire l’ovaire où les graines sont protégées ? Cela ne pourra se découvrir que dans les terrains inférieurs à la craie ; aussi les regards étaient-ils tournés vers l’infra-crétacé, mais on ne voyait rien venir et on ignorait toujours l’origine des Dicotylées. La lumière nous arrive en même temps du Portugal et des États-Unis. Sous l’impulsion habile de MM. Delgado et Choffat, les Portugais commencent à faire des études très approfondies sur la géologie de leur magnifique contrée ; l’examen des végétaux qu’ils ont trouvés a été confié à Oswald Heer et, après la mort d’Heer, à Saporta.

Cette œuvre a été la dernière de sa vie et l’une des plus remarquables. Il a découvert dans un des étages de l’infra-crétacé[1] qu’on appelle l’Urgonien ces plantes prophétiques, ambiguës, pour lesquelles il avait avec M. Marion créé le nom de proangiospermes ; telles sont les Delgadopsis, ainsi désignées en l’honneur de M. Delgado, et les Protorrhipis. Il reconnaît en

  1. On a pris l’habitude de réunir, sous le nom d’infra-crétacés, les étages que les géologues appellent le wealdien, le néocomien, l’urgonien, l’aptien et l’albien.