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cherchons à comprendre l’immensité des temps, et à nous comprendre nous-mêmes, nous sommes exposés à être le jouet de l’erreur. Si la vie de Saporta a été un rêve, elle a été un rêve charmant. Son esprit a été transporté en face des plus grands spectacles. Il a cru assister aux scènes des époques géologiques ; il a contemplé dans ses plus minutieux et plus élégans détails la végétation qui formait les décors du théâtre où ont vécu tant de milliers d’étranges créatures dont les dépouilles sont ensevelies dans les pierres. Il s’est représenté les sombres forêts de cryptogames des jours primaires. Peu à peu devant ses regards étonnés les plantes se sont diversifiées en se multipliant ; il a vu leurs organes sexuels apparaître et grandir ; il les a regardés s’enveloppant de fleurs délicates, parfumées. Il s’est imaginé une nature calme, changeant peu à peu dans une harmonie continue pour devenir de plus en plus magnifique. Ceux qui ne croient pas au transformisme penseront qu’il a fait un rêve. Moi, je suppose, qu’en sortant de sa vie de labeur pour se trouver face à face devant l’Auteur de la vérité infinie, il a reconnu qu’il n’avait pas fait un rêve, mais qu’il avait deviné la réalité. Ce qui me paraît certain, c’est que la grandeur, la beauté des horizons qu’il a entrevus, ont dû contribuer à la grandeur, à la beauté de son âme.


Albert Gaudry.