constituante qui permirent l’élection du prince. S’ils avaient senti, comme les contemporains, l’impulsion violente, à chaque heure accrue, qui le portait, ils sauraient qu’aucun acte de violence n’eût dominé alors la passion populaire. La nomination eût-elle été attribuée à l’Assemblée, dès le lendemain, aux élections législatives, le nom du prince, placé en tête de toutes les listes, en dépit de toutes les déclarations d’inéligibilité, eût obtenu la majorité presque partout. Quelle force serait-il resté au pouvoir du général Cavaignac ? Il eût fallu supprimer le suffrage universel ou le museler. En ce temps de probité politique, nul ne pensait à le proposer. Tocqueville et Lamartine n’opinèrent pas seulement en honnêtes gens, ils se montrèrent plus encore politiques perspicaces.
Il est rare qu’une assemblée aille avec une inflexible logique au bout du principe qu’elle a adopté, et même qu’elle se défende de reprendre en détail ce qui lui a été arraché en principe. Le peuple, maître de l’élection, devait rester maître de réélire celui qu’il aurait élu. Cependant l’Assemblée décréta que le président ne serait pas rééligible. La constitution nouvelle pouvant, à l’application, révéler des défectuosités, la faculté de réviser devait être facile. On la rendit à peu près impossible en la subordonnant au vote des trois quarts des voix. Au moins eût-il été correct que ces décisions exorbitantes fussent ratifiées par le pouvoir constituant. On s’en garda bien ! on craignit que le peuple ne manifestât par un vote négatif sa volonté d’être régi par le prince sous une forme quelconque. Lorsque le député Puységur proposa, conformément aux règles démocratiques, de soumettre l’acte constitutionnel à la sanction nationale, quarante-quatre voix seulement l’appuyèrent au milieu de l’hilarité bruyante d’une majorité revenue aux instincts simoniaques des partis. Parmi ces quarante-quatre fidèles aux principes, on comptait Victor Hugo, Montalembert et mon père. Une constitution, selon le juste décret de la Convention, maintes fois confirmé, n’existe que si elle a été acceptée par le peuple ; dès lors la Constitution de 1848 n’a jamais existé en droit, elle n’a été qu’une usurpation.
Cette constitution légale mais illégitime mettait aux prises une assemblée unique désignant des ministres responsables avec un président responsable nommé pour quatre ans. Ni les ministres ni le président n’étaient armés du droit de dissolution. Cet arrangement irrationnel ouvrait un conflit sans issue. « L’institution d’une assemblée unique, écrivait Victor Hugo au Moniteur, me paraît si périlleuse pour la tranquillité et la prospérité d’un pays que je n’ai pas cru pouvoir voter une constitution où ce germe