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En résumé, quand le prince Louis-Napoléon s’installa à l’Elysée, le souffle manquait partout à la révolution de Février ; partout elle était compromise ou perdue ; partout elle dissipait par la folie de sa méthode révolutionnaire les biens acquis par la sagesse de la méthode constitutionnelle ; partout la liberté, traitée en séditieuse importune, était exilée ou mise aux fers, et le principe des nationalités, loin d’être descendu de la théorie dans les réalités, se trouvait à la veille d’être égorgé par le droit de la conquête refait en forces. Une réaction pire que celles de 1819 et de 1832 semblait imminente : déjà on entendait les grincemens de dents dans les cabines des pontons, sous les huttes de la transportation, dans les cachots des forteresses, et dans le lointain de l’horizon apparaissait, intact, immense, les foudres de l’ordre en ses mains, le Tsar de la sainte Russie, contemplant d’un regard impatient et courroucé les grouillemens ensanglantés de la vieille Europe.

Quel parti prendrait le nouveau chef du gouvernement de la France ? Se prononcerait-il pour ou contre la réaction ? Braverait-il Nicolas ou s’inféoderait-il à lui ? Demeurerait-il le penseur compatissant de Hani, ou se transformerait-il en rigide César ? Se maintiendrait-il par les idées auxquelles il avait dû sa popularité, ou les renierait-il ? Hâterait-il ou conjurerait-il la catastrophe de la révolution ? Allait-il secourir ou achever la liberté et les nationalités agonisantes ? On se le demandait anxieusement.


EMILE OLLIVIER