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d’indépendance où ils sont parvenus et où ils entendent demeurer, ont cessé désormais de pouvoir être envisagés comme des terrains propres à la colonisation future des puissances européennes. » Le second passage abordait la question brûlante de l’Amérique espagnole et était ainsi conçu : « Nous devons à la bonne foi, à nos bonnes relations avec les puissances, de déclarer que nous considérerons comme une atteinte à notre paix et à notre sécurité toute tentative de leur part pour étendre leur système à une portion quelconque de cet hémisphère. Nous ne sommes point intervenus, nous n’interviendrons pas dans les colonies ou les dépendances que possèdent telles ou telles puissances européennes : mais quant aux gouvernemens qui ont déclaré leur indépendance et l’ont maintenue et, pour de justes et hautes raisons, en ont obtenu la reconnaissance de notre part, nous serions forcés d’envisager toute interposition en vue de les opprimer ou d’exercer un contrôle quelconque sur leurs destinées comme la manifestation d’une disposition hostile envers les Etats-Unis. »

Tel était ce document, trop long, verbeux, diffus, où les deux déclarations essentielles sont noyées dans un flot de paroles superflues. Tel qu’il était, il produisit un effet immense. Monroe devint, du jour au lendemain, l’idole de la nation et un personnage historique. C’est qu’il avait, à travers ses tautologies et ses périphrases, donné à deux reprises une forme concrète à un sentiment profondément imprimé dans l’âme populaire. Il avait prononcé le Quos ego de la grande république contre toute usurpation des puissances européennes au nouveau monde. C’était poser en quelque sorte les colonnes d’Hercule où devait s’arrêter l’action du vieux monde ; ou encore, pour reprendre le mot de Jefferson, c’était imiter le pape Alexandre VI lançant une bulle pour tracer une ligne de partage en plein Atlantique entre les possessions de l’Espagne et celles du Portugal, et fixer les bornes infranchissables des deux hémisphères. Cette doctrine est devenue le fondement même du système de droit international des patriotes américains. Cette haute fortune lui est advenue, comme il arrive, parce qu’elle n’a point prétendu innover. De vrai, Monroe n’a guère fait que forger un anneau dans une longue chaîne qui remonte aux pères mêmes de la République américaine et qui descend jusqu’à nous. Il y a, au sens précis du mot, une catena patrum dont les apophtegmes concordans attestent l’existence et la continuité d’une vraie tradition apostolique. Washington protestait auprès de Jefferson, en janvier 1788, « contre toute idée d’aller s’embarrasser dans les querelles politiques des puissances européennes. » Dans son adresse finale d’adieu à ses concitoyens, en mai 1796, après huit ans de pouvoir, il leur donnait, comme l’une