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compensation logique du principe de la non-intervention de l’Amérique dans les affaires d’Europe. On n’invite point l’Amérique, qui mériterait pourtant par sa force et sa richesse de compter parmi les grandes puissances, à siéger aux Congrès où se règlent les questions européennes. Même quand, comme en Turquie au cours de ces derniers mois, la diplomatie américaine poursuit des objets identiques à ceux des ambassadeurs des grandes puissances, elle n’est jamais priée de se joindre au concert européen et elle doit se contenter d’une action indépendante et parallèle. Cette exclusion doit avoir sa contre-partie. C’est l’application inverse du même principe : si l’Amérique est disqualifiée dans les affaires d’Europe, par les mêmes raisons et exactement dans la même mesure, l’Europe doit être disqualifiée dans les affaires d’Amérique.

En troisième lieu la doctrine de Monroe est devenue le symbole de l’esprit national, du patriotisme américain. Chaque grande nation a un principe, une formule qui lui sert en quelque sorte de signe de ralliement et autour duquel elle se groupe comme autour d’un drapeau. C’est cette portée qu’a prise avec le temps la double affirmation du message de 1823. On a appris à y voir le fier Noli me tangere de la démocratie du nouveau monde. Cet isolement volontaire, cette espèce d’enceinte fortifiée que la sagesse des ancêtres a construite autour de l’indépendance nationale, toutes les idées glorieuses qu’éveille dans l’esprit le souvenir des humiliations infligées à la vieille Europe, tout cela se développe et se commente et se loue dans les livres d’école, dans les manuels primaires, dans les discours patriotiques, dans les harangues du 4 juillet, dans toutes ces innombrables démonstrations populaires où se complaît l’infatigable ardeur de cette nation. Et les souvenirs de certains grands événemens sont là pour achever de conférer la sainteté d’un dogme immuable à cette doctrine politique. Comment oublier qu’à l’heure tragique où la sécession des États à esclaves formés en Confédération du Sud menaçait l’existence même de la République, l’impossibilité où se trouva le gouvernement de Washington de faire respecter, comme à l’ordinaire, la doctrine de Monroe, faillit créer sur le flanc de l’Union, au Mexique, un empire d’origine étrangère, qui aurait été une perpétuelle source de danger ? Aussi avec quel joyeux empressement, dès que le Sud eut succombé et que Lee eut rendu sa vaillante épée à Appomatox, gouvernement et peuple ne prirent-ils pas leur revanche en infligeant à Napoléon III le déshonneur de décamper à la première sommation et de laisser son malheureux client, devenu sa dupe et sa victime, l’empereur Maximilien, expier son usurpation à Queretaro ! Voilà, certes, qui explique assez l’incomparable popularité d’une politique qui a de tels états de