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gouverneur, était également familier avec les élégances de la société française d’alors et les séductions de la vie italienne. Ambassadeur près la cour de Versailles, de 1739 à 1742, il avait eu pour amis le vieux Fontenelle, Marivaux, Favart, le peintre Boucher, le comte de Caylus, et il était avant tout un habile collectionneur ; il avait acheté en Italie, à Urbino, de Carlo Roncali, garde des tableaux du Vatican et descendant du peintre Timoteo Viti, un certain nombre de dessins originaux de Raphaël, et, à la vente du célèbre amateur français Crozat, quelques pièces du fameux album-de dessins de Vasari. Bien d’autres raretés complétaient sa collection ainsi que beaucoup d’œuvres d’artistes de son temps, et entre autres de délicieux dessins et pastels de Boucher. Tout cet ensemble échut à Gustave III, encore prince royal, et fut cédé par lui au musée de Stockholm ; il eut à cœur d’y joindre une collection d’antiques. Pendant deux voyages en Italie, il avait pris goût non seulement à la douceur du climat et des mœurs, mais aussi à la majesté des monumens, des statues, des marbres sculptés ; il avait admiré les riches villas des cardinaux et princes romains, et senti croître le désir d’avoir quelque chose de semblable en son pays ; il en vint donc à souhaiter des informations permanentes en vue d’acquisitions faciles. On lui avait présenté à Pise François Piranesi, le fils du célèbre graveur Jean-Baptiste, mort en 1778, graveur lui-même et longtemps associé à son père. Ce fut ce personnage qui parvint à se faire choisir comme agent du roi.

On a vu plus d’une fois, au cours des temps modernes, en des lieux historiques tels que Rome, Athènes ou l’Orient, des représentans distingués de la diplomatie joindre au soin des affaires politiques le respect de l’art et des lettres et le culte de l’antiquité. Dans la seule Italie, Chateaubriand, M. de Blacas, Niebuhr, Bunsen et bien d’autres ont revendiqué par goût, et rempli noblement, cette seconde mission ; mais le roi de Suède Gustave III paraît avoir été le seul souverain qui ait voulu entretenir dans Rome un agent spécial, officiellement chargé de cette sorte d’intérêt.

Piranesi reçut en mai 1784 sa nomination comme agent général de Sa Majesté suédoise pour Rome et les ports de mer de l’État pontifical. Le gouvernement du pape ne reconnut pas, il est vrai, un tel agent nommé par un monarque protestant. De la chancellerie suédoise, on écrivait à Piranesi en lui faisant part des ordres de Gustave III : « Votre ministère s’étend à tout ce qui a rapport aux beaux-arts. Vous informerez Sa Majesté de toutes les occasions d’achats utiles. Vous lui ferez parvenir les prospectus, les catalogues ; vous rapporterez directement à Sa