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académicien-né. Les choses changent ; et elles n’ont pas toujours été telles qu’elles nous semblent aujourd’hui. Il y a vingt ans, on eût fort étonné Dumas d’abord, et la bourgeoisie ensuite, si on lui eût désigné celui-ci comme son représentant et son porte-parole.

Car je veux bien qu’il y eût chez Damas un arrière-fond d’idées bourgeoises ; et même je lui en adresse en passant mes plus sincères complimens. Toujours est-il qu’il a cru et voulu être un révolutionnaire, qu’il a passé pour tel, qu’on l’a combattu à ce titre, qu’il s’est fait par là des ennemis dont beaucoup n’ont pas désarmé. Le reproche d’immoralité est celui qu’on n’a cessé de faire à ce moraliste, et non toujours sans quelque apparence de raison. Peintre de mœurs, il n’a mis constamment à la scène que des tableaux de mauvaises mœurs. Or il est probable qu’en littérature les plus belles maximes ont moins de portée et les plus fortes démonstrations produisent moins d’effet que les images qu’on met sous nos yeux. Il a fait venir à la vie littéraire toute une catégorie de personnes que peut-être il eût mieux valu laisser dans le demi-jour où on les tolérait à côté et en dehors de la société. Il a dans l’étude des rapports des sexes donné à l’élément physiologique une importance que le théâtre n’avait pas encore osé signaler. Il l’a fait avec une hardiesse d’expression et une crudité de langage alors toutes nouvelles. C’est contre quoi protestait ce spectateur qui se levant au milieu d’une représentation résumait son impression en ces termes énergiques : « C’est dégoûtant ! » Et ce spectateur s’appelait légion. C’est pourquoi l’écrivain a été aux prises avec les scrupules de la censure, les taquineries des commissions, l’hostilité des bureaux, l’incompétence des ministères, l’indignation suspecte de la presse et la contradiction intéressée des confrères. Ses théories n’ont soulevé guère moins de réclamations. Il a fait campagne contre le mariage indissoluble, campagne heureuse et fructueuse, au point d’avoir porté à l’institution elle-même du mariage une atteinte dont elle ne semble pas près de se relever. Il a été à sa manière individualiste avant que l’individualisme ne nous fût revenu du Nord, évangélique avant que l’évangélisme n’eût fait chez nous fortune sous l’étiquette russe. Il a dénoncé l’étroitesse d’esprit des pharisiens, leur égoïsme tranquille et leur immoralité garantie par la loi. Il a pris en main et plaidé, on sait avec quelle chaleur, la cause de quelques-uns [des réprouvés de l’estime publique, la courtisane, la fille séduite, l’enfant naturel. Ce qui fait l’unité de sa prédication, c’est précisément cette guerre déclarée à des préjugés dont quelques-uns d’ailleurs recouvraient des idées justes, des principes essentiels à la famille constituée et à la société établie.

Cela fait que le succès du théâtre de Dumas, fût-il même disproportionné avec sa valeur, reste un succès dont un artiste peut à bon droit s’enorgueillir. On en veut beaucoup à Dumas d’avoir été plus