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mauvais temps de la régence en paix, qu’ils ont « ôté le venin » à la politique agressive des Espagnols, qu’ils ont été agréés par ces mêmes princes qui les blâment aujourd’hui, qu’ils ont été désirés par Henri IV, qu’enfin ils ont eu si peu d’influence sur la politique française qu’à l’heure présente on renvoie dans leur pays les Espagnols qui sont près de la reine, « ce qui justifie clairement le dessein que nous avons de nous rendre espagnols en France ! »… « Et, ajoute le document, ne sert de rien de mettre en avant l’humeur entreprenante des Espagnols, puisque, sans approfondir leurs intentions et leurs desseins, c’est nous faire tort de croire que nous ne puissions conserver les nôtres et nous garantir de ceux qui, justement, nous doivent craindre… C’est donc à tort que l’on appréhende que, de l’union de ces deux couronnes, sourde la division de la France. Nul ne croira aisément qu’un homme brûle sa maison pour faire plaisir à son voisin et que, pour aimer autrui, on se veuille haïr et perdre soi-même. Les diverses créances ne nous rendent pas de divers États ; divisés en foi, nous demeurons unis en un prince au service duquel nul catholique n’est si aveuglé d’estimer, en matière d’État, un Espagnol meilleur qu’un Français huguenot. » Est-il nécessaire d’aller plus loin encore et de promettre aux princes d’Allemagne de les aider dans leurs efforts pour s’opposer à la politique de l’Escurial ? On ira jusque-là « Il faut prendre occasion de leur témoigner à notre profit que nous ne désirons point l’avancement de l’Espagne, nous offrant, quoique discrètement, à les assister contre les pratiques que le roi d’Espagne fait pour faire tomber, avec le temps, les couronnes de Hongrie et de Bohème, celles du roi des Romains et l’impériale sur la tête d’un de ses enfans. » De loin, Luçon prévoyait les troubles que devait, plus tard, susciter en Allemagne la succession au trône impérial, et les rivalités d’où est issue la guerre de Trente ans. Déjà, il prenait, « quoique discrètement », position du côté des adversaires de l’Espagne.

Renseigné sur ces intentions (et en diplomatie, tout finit par se savoir) comment, le gouvernement de Philippe III eût-il gardé la moindre confiance dans les ministres qui prenaient contre lui, d’avance et de si loin, de telles précautions ?

Quand, enfin, arrivant à l’objet direct de la mission de Schomberg, ses instructions lui exposent les argumens qui doivent persuader les princes d’Allemagne de venir en aide au roi, elles renferment des paroles non moins graves : « Il faudra leur faire connoître qu’il n’est pas question de religion, mais de pure rébellion ; que le Roi veut traiter ses sujets, de quelque religion qu’ils soient, également ; mais qu’il veut aussi, comme la raison le requiert, que les uns et les autres se tiennent à leur devoir… »