un mari qui battait sa femme ; tous les mauvais sujets, tous les voleurs sentirent le poids de son bras. Le résultat de ses efforts fut que les individus qu’il cherchait ainsi à convertir ne lui en surent aucun gré et qu’un jour il reçut une balle dans la tête. J’ai vu l’endroit où était tombé, au moment le plus brillant de sa carrière, le régulateur de Clover Bend. Il fut transporté dans la pièce qui est devenue ensuite une salle à manger. Au jour anniversaire du meurtre, et d’autres fois aussi, la porte de cette chambre s’ouvre brusquement sans que personne y touche, et. chose merveilleuse, elle reste ouverte le temps de laisser défiler le funèbre cortège qui rapporta une victime du devoir. Après quoi elle se referme. Tous les habitans ont assisté à ce prodige, mais il devient plus rare depuis que la vieille serrure, un peu lâche, a été remplacée par une serrure neuve.
Après le lunch a lieu notre promenade quotidienne : — on ne peut se promener qu’en voiture ou à cheval, vu l’état du sol ; même pour échanger une visite avec nos proches voisins, nous devons suivre le sídewalk en planches, le long trottoir mobile. La petite charrette qui nous porte s’enfonce sous-bois à travers flaques d’eau et fossés dans des endroits où jamais ne s’aventureraient des chevaux européens. Ceux-ci n’ont pas l’air de se douter qu’il faille de préférence suivre des routes tracées, ils passent philosophiquement partout en imprimant au léger véhicule un mouvement de bateau. Nous roulons ainsi dans des forêts qui tantôt semblent vierges et tantôt me donnent l’impression d’avoir été brutalement profanées. La main-d’œuvre est trop chère pour qu’on songe à les exploiter avec méthode ; des squelettes carbonisés à demi, encore debout cependant, lèvent leurs grands bras lamentables au milieu de la masse serrée des chênes blancs et noirs, des chênes à feuille de saule, des frênes, des sycomores, des cyprès qui, comme ces derniers, font peau neuve. Près de la lisière, j’ai remarqué aussi des ormes d’une beauté singulière. Tous ces arbres sont des géans ; ils poussent en hauteur, trop près les uns des autres pour pouvoir étendre largement leurs branches ; des lianes robustes les relient entre eux ; mes amies me disent qu’il n’y a pas de parfum plus pénétrant que celui de la vigne sauvage quand elle est en fleur. Beaucoup de gommiers : leur bois sert à fabriquer des meubles d’un très joli ton, tandis que la gomme qu’ils distillent fournit ces vilains bâtons à chiquer dont les enfans raffolent en Amérique, et non seulement les enfans, mais la plupart des gens du commun. Dans les cars, dans les chemins de fer, j’ai partout remarqué ce mouvement automatique de la mâchoire qui indique l’habitude de chiquer ; c’est une chique inoffensive.