le premier jour, rosé le lendemain, et ensuite blanc et rose à la fois, la même plante portant souvent en outre sa bourre neigeuse. L’heure du départ avait sonné. Je dis adieu a tous mes amis, dont chacun représentait au vif quelque personnage des romans d’Octave Thanet : le planteur des premiers temps de la reconstitution, capable de faire tout ce que les circonstances peuvent imposer à un être humain, fût-il jeté sur me île déserte, et de tirer du néant un home ;- l’ame de ce home, une aimable Bostonienne qui, toute à ses enfans, ne semble regretter ni les ressources intellectuelles, ni les distractions de sa ville natale ; le jeune planteur élégant qui se fait envoyer ses habits du Nord, monte de beaux chevaux, a grand soin de ses ongles et affecte un peu l’espèce de dédaigneuse lenteur dans les mouvemens et la parole d’un gentleman anglais, ce qui ne l’empêche pas de s’occuper très activement d’élevage, de culture, et de tenir les comptes du magasin (détail caractéristique : il a voyagé en Europe, mais n’a pas vu Paris, ayant été saisi tout à coup d’une nostalgie d’espace illimité) ; — la jeune veuve aux longs yeux noirs, calme comme un clair de lune, qui fait penser au portrait tracé par Shakspeare d’une dame vertueuse, douce autant que belle, sachant du reste faire la pâtisserie et battre le beurre aussi bien qu’Octave Thanet en personne ; — la grand-mère, frêle et distinguée, maîtresse de maison accomplie, habile à organiser une partie de whist et à saisir au vol les moindres élémens de sociabilité. Puis, auprès de ces premiers rôles, les comparses : colons blancs vêtus comme les cowboys de Buffalo Bill, nègres aux guenilles pittoresques et sur le noir visage desquels la moindre marque de bonté amène une si joyeuse expression. J’eus un vrai chagrin de quitter Clover Bend, mais surtout il me parut un instant impossible de me séparer, sans grand espoir de la revoir jamais, d’une personnalité bienfaisante, — il n’y a pas d’autre mot pour rendre son action sur les esprits les plus divers, — telle que l’est Octave Thanet. Après tant de rencontres, elle me prouva que je n’avais pas épuisé l’étude des types multiples d’Américaines et qu’en cherchant encore, je trouverais probablement des qualités nouvelles à signaler, qualités empruntées à toutes les races ; cependant, nulle part, il faut le reconnaître, je n’ai remarqué au même degré nos meilleures qualités françaises.
Adieu aux longues colonnades de la forêt, adieu aux prairies où fuient les chevaux du Texas, adieu aux deux petites écoles, et puissent-elles un jour n’en faire qu’une ! La voiture qui nous emporte, avec un lunch au champagne que nous devons manger