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qu’il voulut bien m’exprimer un désir qui, dans la position où nous nous trouvions alors, étant transmis par moi à Versailles, devait couper court à toute indécision ultérieure.

Cette audience, qui eut lieu le 21 novembre, à 9 heures du soir, fut différente de la précédente. Elle dura un peu plus d’une heure. Le chancelier me reçut avec une bienveillance personnelle assez marquée, car il avait pu apprécier mes sincères intentions de contribuer, en ce qui me concernait, à la pacification effective de la France et de l’Allemagne. Je ne le trouvai très dur que sur un point, la question de l’amnistie que nous voulions faire insérer dans la convention additionnelle que MM. de Goulard et de Clercq négociaient à Francfort. A cet égard, il me répéta à peu près les mêmes choses qu’il m’avait dites lors de notre première entrevue. « Ainsi, écrivais-je à M. de Rémusat, le prince de Bismarck est décidé à demeurer inflexible vis-à-vis de tous ceux qui ont pris part à la guerre comme francs-tireurs et, en vue d’un avenir qu’il se croit autorisé à prévoir, il tient à ce que le souvenir de la répression survive à la lutte. Sur ce point secondaire, c’est tout le principe de la dernière guerre qui se trouve en jeu dans son esprit et lui en fait poursuivre les résultats avec son inflexibilité habituelle. » Cependant, à force d’insistance, le chancelier finit par admettre la possibilité d’accorder l’amnistie a certaines catégories de prisonniers encore détenus, mais il me déclara qu’il ne croyait pas pouvoir autoriser ses plénipotentiaires à en prendre l’engagement et que, dans sa pensée, cet acte de clémence devait être réservé à l’initiative de l’empereur. Pour tout le reste, je le trouvai assez conciliant, et je vis que les incidens récens, les déclarations pacifiques de M. Thiers au comte Arnim, ses discours à l’Assemblée nationale, le payement des 1500 premiers millions qui venait d’être effectué, lui faisaient entrevoir la possibilité de rétablir avec la France, par le solde de la contribution de guerre, des relations normales dont il avait douté jusqu’alors.

Comme il me parlait encore du mauvais langage de la presse française, je lui répondis par celui de la presse allemande, qui, bien qu’amélioré, était encore bien amer et engageait plus que la notre la responsabilité de son gouvernement, puisqu’elle recevait un mot d’ordre et une direction dont nos journaux étaient complètement affranchis. « D’ailleurs, ai-je cru pouvoir ajouter, Votre Excellence me permettra de lui rappeler le mot du cardinal Mazarin, répondant à ceux qui lui demandaient des mesures de rigueur contre les chansonniers, qui étaient un peu les journalistes du temps de la Fronde : « Qu’ils chantent, pourvu qu’ils payent », et le cardinal laissait chanter. Nous payons, nous avons payé, et nous continuerons à le faire. Tout le pays se saigne aux