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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/607

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Depuis cette époque, j’ai eu l’honneur de représenter la France comme ministre plénipotentiaire en Hollande, en Grèce, en Belgique, enfin auprès du pape Léon XIII, en qualité d’ambassadeur. Ces diverses missions m’ont laissé les meilleurs et les plus attachans souvenirs. Personne, en retour, ne s’étonnera que je n’en puisse dire autant des dix-huit mois que j’ai passés pendant et après la guerre, entre Pétersbourg et Berlin. Cependant, au milieu même de ces années de douloureuses angoisses, une pensée nous a toujours soutenus, mes collègues et moi, et c’est sur cette pensée que je voudrais insister en terminant. La France a eu alors quelques rares momens d’union intérieure, bien précaire, bien peu durable, mais assez forte cependant pour lui permettre, sinon d’affranchir son territoire par ses armes, du moins de le libérer par des sacrifices et des efforts communs. A l’étranger, par suite, nos représentans, parlant au nom de la France momentanément unie, ont pu quelquefois, on l’a vu par ce récit, se faire écouter de l’Europe et respecter par elle.

Et cependant, cette période de notre histoire est une des plus tristes entre toutes. Nous n’avions plus d’armée, notre frontière était ouverte, notre gouvernement instable et errant à la suite de notre assemblée sur toutes les grandes routes ; mais ce gouvernement parlait au nom du pays tout entier, et on le sentait au dehors. C’est donc vers cet objectif d’union, tiré du sentiment même de l’État, comme l’appelait devant moi le prince de Bismarck Staatsgefühl, que nous devrions toujours tendre, au lieu de diviser la nation en deux camps ennemis par des mesures qui blessent ses intérêts les plus chers, notamment celui de la liberté des consciences. Le jour où nous serons revenus à l’union sous une forme durable, nous verrons, comme à d’autres époques, de quel poids peut peser dans le monde l’influence de cette France, que ses ennemis ont pu entamer, mais qu’ils ne sauraient définitivement réduire, tant que nous n’emploierons pas à la déchirer nous-mêmes les mains qui nous ont été données pour la défendre.


GABRIAC