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lièrent de solide amitié. Ils logeaient alors porte a porte et faisaient ménage commun avec d’autres bohèmes, également riches d’espoir et pauvres d’écus. « J’avais vers cette époque, écrit Gautier, quitté le nid paternel et demeurais impasse du Doyenné, où logeaient aussi Camille Rogier, Gérard de Nerval et Arsène Houssaye, qui habitaient ensemble un vieil appartement dont les fenêtres donnaient sur des terrains pleins de pierres taillées, d’orties et de vieux arbres. C’était la Théhaïde au milieu de Paris. »

Plus tard, Théophile et Gérard allèrent demeurer ensemble au numéro 3 de la place du Carrousel : ils ne se quittaient plus guère, et qui voyait l’un voyait l’autre. Certain jour d’été qu’ils n’avaient pas un son vaillant, les deux camarades imaginèrent de travailler ensemble et d’offrir à Renduel de composer tout exprès pour lui un roman « magnifique et truculent ». Sitôt dit, sitôt fait. Gautier écrit une lettre des plus alléchantes pour annoncer à l’éditeur leur visite intéressée ; rendez-vous est pris ; les pourparlers ne sont que pour la forme et, vite, un traité intervient entre les trois parties : il est signé le 22 juillet 1836. Labrunie et Gautier vendaient à Renduel un ouvrage intitulé : Confessions galantes de deux Gentilshommes périgourdins, devant former deux volumes in-8o, de vingt-cinq feuilles d’impression chacun, et ils s’engageaient à en livrer la première partie fin août, puis la deuxième en septembre de la même année ; passé, le 15 octobre, terme fatal, ils devaient être passibles d’une retenue de quatre cents francs sur le prix du manuscrit. Renduel leur payait ce roman seize cents francs, dont cinq cents donnés en signant le traité — quelle clause imprudente ! — et le reste échelonné en trois payemens égaux : à la mise en vente de l’ouvrage, puis deux et trois mois après.

L’éditeur croyait avoir pris toutes ses précautions pour posséder tôt ou tard ce nouvel ouvrage de deux insouciant qui ne travaillaient qu’au gré de leur caprice ou sous l’étreinte de la nécessité. Vaines précautions, retenue inutile ; les gais compagnons avaient empoché cinq cents francs et n’en demandaient pas davantage. Ils envoyèrent bien à Renduel les premiers feuillets, puis s’occupèrent d’autre chose et jamais le libraire ne put rien tirer de plus ; il perdit même par la suite ces quelques feuillets et regrettait fort cette ébauche qu’il avait, trouvait-il, payée assez cher. Ce fut là le seul ouvrage que Gérard dut faire paraître chez Renduel ; mais ils n’en restèrent pas moins en bons rapports et se rappelaient volontiers qu’ils avaient tous les deux fait leurs débuts chez Touquet, l’un comme apprenti libraire et l’autre comme poète : c’était, en effet, à la librairie du colonel que Gérard avait