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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/654

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entre deux colombiers distans l’un de l’autre d’une cinquantaine de kilomètres. Nous n’insistons pas sur les avantages que présente ce mode de correspondance pour assurer des relations continues et régulières entre des localités peu éloignées les unes des autres.

L’instinct du pigeon messager semble donc grandir en raison même des exigences de l’homme. On ne sait vraiment ce qu’il faut admirer le plus, ou le coup d’aile puissant qui permet à un oiseau d’accomplir en une journée un trajet de plus de 1 000 kilomètres, ou le mystérieux instinct lui fait retrouver, presque sans hésitation, la direction du colombier.


IV

Suivons par la pensée le pigeon voyageur que le chemin de fer emporte vers une région inconnue : au milieu des cahots du voyage, dans l’obscurité du wagon où on le traité comme un colis, le pauvre oiseau songe sans doute au colombier natal où, suivant l’expression du fabuliste, il trouvait chaque soir « bon souper, bon gite et le reste. »

Quand, au terme du voyage, ou lui rend la liberté, il s’élève en décrivant une spirale et paraît explorer l’horizon ; il monte encore : rien ne lui rappelle le paysage témoin de ses ébats quotidiens. Cependant il semble prendre un parti, fuit à tire-d’aile dans une direction perpendiculaire à celle du colombier et disparaît dans le lointain. Un quart d’heure se passe, et le pigeon se montre de nouveau au-dessus du point où il a été lâché. Cette fois, il prend sans hésitation la bonne direction, il est orienté. Nous n’osons comparer cette rapidité de décision aux hésitations du voyageur muni pourtant d’un bagage de connaissances péniblement acquises et de toutes les ressources que donne la science : l’occasion serait mal choisie pour opposer la raison à l’instinct.

On s’est demandé quel sens doit guider l’oiseau dans le retour au pigeonnier ; ce n’est pas la vue, car le pigeon ne s’élève guère à plus de 400 mètres au-dessus du sol. L’horizon qu’il découvre est par suite relativement assez limité. On le met d’ailleurs le plus souvent en liberté dans une contrée totalement inconnue ; il n’est donc pas guidé par la mémoire locale. On a imaginé encore je ne sais quelle théorie de courans magnétiques dont la direction assurerait au pigeon des points de repère infaillibles... Tous nos efforts pour analyser et expliquer l’instinct, cette science innée de la bête, resteront sans doute impuissans ; nous sommes en présence d’un secret de la création ; mais si la cause nous échappe, nous pouvons du moins observer les effets, les diriger