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Il n’y a pas longtemps que la tragédie grecque est comprise en France, et il serait imprudent d’affirmer qu’elle l’est complètement. Le XVIIIe siècle, peu ouvert, en général, aux choses de la Grèce, avait transmis au XIXe une poétique formée sur une médiocre interprétation de Racine, à laquelle il soumettait le théâtre antique. Les Tragiques grecs, de M. Patin, écrits après une étude sérieuse des textes et des travaux les plus importans de la critique étrangère, ont été une véritable révélation et sont encore aujourd’hui, après cinquante ans, d’un grand secours pour ceux qui s’occupent de ce beau sujet. Grace à lui, la plupart des principales idées que ce sujet comporte sont devenues courantes, et elles sont si bien entrées dans le domaine commun que nous ne songeons pas toujours à en faire honneur à celui qui nous en a donné la notion et l’intelligence. Mais cette sorte d’ingratitude est peut-être la meilleure récompense de la critique. Depuis M. Patin, nous n’avons pas cessé de faire des progrès ; bien que nous ne soyons point imprégnés de paganisme au même degré que nos pères, notre goût, de moins en moins exclusif, admet plus facilement ces formes antiques si différentes des formes françaises ; nous en saisissons mieux la nature, nous sommes particulièrement sensibles à ce que les artistes appellent le caractère, et, l’archéologie aidant, elles nous attirent à peu près comme l’exotisme contemporain. Ajoutons, pour être justes envers nous-mêmes, que les beautés fortes et simples agissent plus directement sur nos esprits plus libres.

Le succès récent de l’Antigone de Sophocle, représentée aux Français et au théâtre d’Orange, paraît confirmer ces observations. Eût-on goûté de même, il y a trente ans, cette simplicité d’action et cette composition forte et délicate d’un caractère où la grâce