de toute part. Mais, comme alors on admettait la fixité des espèces, on n’eut pas la pensée d’étudier leurs évolutions à travers les âges. Elles furent rangées à côté des formes vivantes qui s’en rapprochent le plus ; la paléontologie était considérée comme une annexe des différentes branches de la zoologie. On avait si peu la croyance que les fossiles serviraient à découvrir le plan de la création que, lorsqu’en 1853 l’État fonda dans le Muséum d’histoire naturelle de Paris une chaire de paléontologie, cette chaire rencontra une vive opposition ; les professeurs de zoologie et d’anatomie conservèrent l’administration des fossiles ; aucun objet placé dans les galeries publiques ne fut confié à la garde du nouveau professeur. Même, en 1868, il parut un arrêté ministériel, consacrant le démembrement des fossiles entre les divers services chargés des animaux actuels. Il était donc impossible de constituer une collection qui présentât l’histoire du développement des êtres à la surface de notre globe.
Au jourd’hui on commence à constater que les espèces fossiles n’ont pas été des entités immuables, isolées, mais de simples phases de développement de types qui poursuivent leur évolution dans l’immensité des âges. Mon ouvrage sur les Enchaînemens du monde animal dans les temps géologiques a eu pour but d’appuyer par des preuves patiemment réunies cette manière d’envisager la nature. On vient de construire dans le Jardin des Plantes une galerie de paléontologie qui permettra de suivre les changemens des êtres depuis les siècles primaires jusqu’à nos jours ; les penseurs pourront enfin étudier l’histoire de la vie.
Un plan domine cette vaste et magnifique histoire. Je vais essayer de dire ce que je crois en avoir aperçu. Assurément, je ne me dissimule pas que, dans l’état de notre science qui est à son aurore, un pareil essai sera très défectueux. Quand je faisais mes voyages en Orient, je voyais le matin les horizons cachés sous les brumes bleutées que les poètes aiment tant, et je tâchais d’y découvrir les silhouettes des belles montagnes de marbre. Ainsi, au matin de notre science paléontologique, nous regardons les lointains de la vie esquisses vaguement, et nous nous efforçons de distinguer quelques traits du plan qui la domine. Nous entrevoyons peu de chose ; mais ce peu suffit déjà pour nous charmer, comme charme une éclaircie de soleil dans un paysage obscur.
Il me semble d’ailleurs qu’en dehors de son intérêt philosophique, la recherche du plan de la création a de l’importance pour la géologie pratique. Jusqu’à présent la détermination des âges de la terre a été empirique. Quand on possédera le plan de la création, cette détermination deviendra rationnelle ; les géologues