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prévaloir ses conseils, n’ayant pas d’armées en campagne et ayant exclu d’avance la voie de l’intervention diplomatique collective et officielle. Elle était, en outre, fort peu satisfaite de l’insuccès de la mission de M. Thiers, qui ne cachait pas son mécontentement, aussi bien de la dureté du vainqueur, que de l’obstination qu’il trouvait dans les conseils du gouvernement de. la Défense à continuer la guerre, et qu’il qualifiait, on le sait, de folie furieuse. D’autre part, les rapports de M. Okouneff avaient fait connaître successivement la capitulation de Metz, les désordres révolutionnaires de Lyon et de Marseille, et le mécontentement général qui régnait dans le pays. Tous ces motifs se réunissaient pour conseiller l’abstention au gouvernement russe, et c’est sous l’empire de ce sentiment que la réponse suivante me fut faite. Je la fis connaître à M. de Chaudordy par le télégramme suivant :


« Le prince Gortchacow m’avait donné pour ce matin rendez-vous à Tsarkoë-Selo, mais son accès de goutte ayant augmenté il a dû se mettre au lit et a chargé M. de Wetsmann de me recevoir, ainsi que le ministre d’Italie qui avait également demandé à le voir.

« Le sous-secrétaire d’Etat m’a dit que le chancelier avait parlé au prince de Reuss du contenu de votre télégramme du 20. Ce dernier semblait croire que ; son gouvernement serait disposé à rouvrir des négociations ; mais, dans la pensée du ministre de Prusse et dans l’intention bien arrêtée du chancelier, ces négociations devaient être reprises par une démarche directe de la délégation de Tours, ou de son représentant auprès du quartier général auquel vous devriez demander des sauf-conduits, et, non par l’intermédiaire de la Russie. »

Aucune réponse ne me vint de Tours à ce télégramme. D’ailleurs, en ce moment, toute l’attention du gouvernement de la Défense nationale était concentrée sur le mouvement de jonction que l’on espérait pouvoir se produire entre l’armée de la Loire et celle de Paris par les sorties du 30 novembre et du 2 décembre qui auraient eu pour effet, si elles avaient été heureuses, de débloquer notre capitale et de modifier sensiblement l’état des choses. La Prusse, en s’opposant au ravitaillement de Paris pendant l’armistice, montrait, de son côté, des dispositions peu conciliantes, qui s’expliquaient d’ailleurs par la situation militaire. On avait tellement dit en Allemagne que Paris ne tiendrait pas huit jours, que, au bout de deux mois et demi d’attente, l’honneur de l’armée prussienne l’obligeait presque à ne signer la paix qu’après la capitulation. Le moment n’était donc plus propice au renouvellement des négociations de paix, car, au fond, il faut le reconnaître,