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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/861

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en haine universelle, haine contre Panfilo et sa complice, haine contre les femmes et surtout contre les hommes, « monde ingrat qui se joue des femmes simples et ne mérite point de lire cette histoire digne d’une telle pitié. » La simplicité d’âme n’est peut-être pas le trait original de Fiammetta ; mais on avouera sans peine que ni Cavalcanti, ni Dante, ni Pétrarque, n’avaient connu et immortalisé un si profond désordre de la conscience, un plus désespéré naufrage de la passion.


II

Boccace comprend les passions de l’amour à la façon dont les sages de l’antiquité, enivrés de pur rationalisme, et trop épris de sérénité intellectuelle, comprirent toute passion. Pour lui, l’amour, si légitime qu’il paraisse, si respectueux qu’il se montre de la noblesse morale, est une source de souffrance. Même, quand il finit bien, il est toujours une épreuve et fait acheter la joie au prix de bien des larmes.

Federigo degli Alberighi était le plus renommé « donzel de Toscane » pour les œuvres de chevalerie et de courtoisie. Il aimait une jeune dame, Monna Giovanna, « des plus belles et des plus séduisantes de Florence » ; mais il avait beau donner des joutes, des fêtes et des cadeaux, la dame, insensible, altière, ne répondait point à ses soins. Frédéric, à force de coûteuses folies, fut bientôt réduit à l’extrême misère ; il ne lui resta qu’une petite ferme et un faucon, « l’un des meilleurs du monde. » Il se retira dans son champ et, résigné, oublié, se consola de la pauvreté par le plaisir de la chasse. Giovanna devint veuve ; son jeune fils recueillit une grande fortune qui, selon le testament paternel, devait revenir à la mère si l’enfant mourait sans héritier. La dame alla passer l’été en une villa proche de la chaumière du cavalier. Celui-ci et le petit garçon devinrent aussitôt grands amis ; l’enfant montrait, pour la chasse au faucon, un goût merveilleux. Il eut envie de posséder l’oiseau et tomba malade, tant son désir était violent : « Mère, si vous m’obtenez le faucon de Frédéric, je crois que je guérirai très vite. » Giovanna se trouva fort embarrassée. Elle savait que Frédéric l’avait longtemps aimée et n’avait jamais reçu d’elle-même un regard bienveillant. « Comment oserai-je lui demander l’oiseau qui est toute sa vie, et prendre à un gentilhomme à qui n’est demeuré aucun autre plaisir le dernier de ses biens ? » Mais l’enfant dépérissait. Elle lui promit de se rendre le lendemain chez Frédéric, « et l’enfant, tout joyeux, le jour même se porta mieux. » Giovanna, accompagnée d’une suivante, rencontre le jeune homme à la porte du jardin où il cultivait