Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/954

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



14 février.


La Chambre a beaucoup parlé depuis quinze jours ; mais on a parlé surtout du Sénat. Les rôles entre les deux assemblées sont complètement intervertis : c’est le Sénat qui est dans le mouvement. Quant à la Chambre, elle a vécu dans le passé, et s’est amusée à des débats purement académiques sur les conventions de 1883. Elle a discuté ces conventions comme s’il s’agissait de les voter aujourd’hui. Il s’agissait, en réalité, de savoir s’il y avait lieu de mettre en accusation M. Raynal qui les avait faites. Ou plutôt, il ne s’agissait même pas de cela : tout le monde savait d’avance que M. Raynal ne serait pas mis en accusation. Mais les radicaux socialistes, profitant de la présence au pouvoir d’un cabinet qui a toutes leurs complaisances, et comptant en retour sur les siennes, ont jugé le moment propice pour rouvrir un grand débat sur des conventions qu’ils ont peut-être fini par croire scélérates, à force d’avoir répété qu’elles l’étaient. Mal leur en a pris. M. Raynal s’est vaillamment défendu contre ce qu’il a appelé les « aboyeurs de la démagogie. » Il a prouvé, ce qui n’était pas difficile, que les conventions de 1883 avaient été, dans les circonstances où elles ont été conclues, une œuvre excellente et qu’elles ont, par leurs conséquences, très heureusement allégé notre situation financière. Peut-être était-il bon que cette démonstration fût faite ; mais elle a été bien longue, et la Chambre aurait pu faire un meilleur usage de son temps.

Le Sénat a mieux employé le sien. Il a donné l’impression que la résistance aux entreprises dangereuses du gouvernement actuel était au Luxembourg plus qu’au Palais-Bourbon, et aussitôt les regards du pays se sont tournés de son côté. À la Chambre, le mécontentement est général ; il est déjà parmi les radicaux aussi bien que parmi les modérés ; la mauvaise humeur règne sur tous les bancs. La lune de miel du cabinet Bourgeois est arrivée à son dernier quartier. Ses amis n’ont plus confiance en lui ; il n’a plus confiance en lui-même. Mais on aime mieux le laisser mourir de sa mort naturelle que de l’y aider en lui donnant la secousse finale, tant on craint de paraître avoir voulu écourter une expérience aussi intéressante. Il est pourtant douteux que le pays s’y intéresse, et certainement la Chambre en est déjà fatiguée ; mais on vit encore sur de vieux préjugés. Toutes les