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mieux enfin, madame, mais l’argent, l’argent, le trouverons-nous ?

J’ai pensé à vous, madame, en lisant l’anecdote de l’obus. Tous ces projectiles ont des procédés. Un de mes amis fut sauvé d’une balle dans le corps par une médaille… mais elle était romaine, je veux dire du haut empire.

Je me suis trouvé à Munich et à Augsbourg cette année au fort du choléra. Je me suis senti malingre, presque malade, en train de devenir cholérique. Me voici à Paris avec la force des lions. Mon aventure doit-elle s’expliquer comme celle du général Canrobert ? Quoi qu’il en soit, madame, en cas d’obus ou de choléra, il y aurait une pensée qui me rendrait la mort moins cruelle, c’est que de nobles âmes s’intéressent à la mienne. Vous m’avez fait un grand bien, madame, en pensant à moi, être si isolé dans ce triste monde ; et, si la médaille ne fait pas de miracle en ma faveur, je me souviendrai toujours avec bonheur de la main qui me l’a donnée.

Veuillez agréer, madame, l’expression de tous mes respectueux hommages.

Prosper Mérimée.


Paris, 24 janvier 1855.

Madame,

Je vous avouerai qu’il me paraît impossible de réparer ou, comme nous disons dans notre argot archéologique, de restituer le château de Chinon. Il faut se résoudre à le conserver en qualité de ruine. Très probablement il en coûtera quelque chose pour que cette ruine ne devienne pas encore plus pittoresque qu’elle n’est. Nous sommes prêts à nous exécuter pour les beaux yeux de messieurs les Chinonais dans la mesure de nos petits moyens. J’admire beaucoup le passage que vous me citez du discours (un peu long) de Mgr d’Orléans, où il recommande de toujours chercher ce qui réunit les hommes, non ce qui les divise. Le château de Chinon réunit à vous un homme fort puissant, qui aime les châteaux forts (quoiqu’il ne soit pas payé pour cela) et la gloire nationale. J’espère qu’avec votre protection et la sienne, cette vénérable ruine, qui a réuni Jeanne d’Arc et Agnès Sorel pour donner de bons conseils, sera sauvée des Vandales.

Votre lettre, madame, m’a fait grand plaisir et grand bien. Elle m’a trouvé dans une attaque de blue devils qu’elle a conjurés. Depuis mon retour en France, je suis fort triste. Tant que je voyage je ne pense guère qu’à la vie matérielle, et je me fatigue tant que je ne pense plus. Il faut que vous sachiez, madame, que vers 1852 j’ai perdu mon grand intérêt à cette vie. Condamné à