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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 134.djvu/152

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« droits conventionnels » : il estimait qu’en Italie c’était « autre chose » et que les souverains seuls y avaient « des droits assurés par des traités[1] ». D’un autre côté, la cour de Saint-Pétersbourg, dégoûtée du tour révolutionnaire que prenaient les affaires d’Italie, changeait en hostilité déclarée l’appui bienveillant qu’elle avait donné l’année précédente à la politique des cours de Turin et de Paris. Peu de temps après, le prince Gortchakow avertissait clairement le cabinet sarde que « si la position géographique de la Russie l’eût permis, l’empereur n’aurait pas hésité à envoyer des troupes à Naples pour protéger la dynastie des Bourbons[2] » ; et en même temps il était question à Berlin « d’une coalition pour mettre fin à l’ambition piémontaise[3]. »


II. — ANTÉCÉDENS HISTORIQUES ET DIPLOMATIQUES DE LA QUESTION DE NICE ET DE LA SAVOIE

Si la France, en prenant Nice, a paru, aux yeux de plus d’un bon Italien, violer le principe des nationalités, pour la défense duquel ses légions avaient passé les Alpes, la vérité est qu’elle ne faisait là que consacrer une fois de plus ce même principe. Henri IV, lorsque le duc de Savoie lui céda la Bresse, avait dit aux Bressans que, puisqu’ils parlaient « naturellement » français, ils devaient être « sujets à un roi de France », ajoutant avec raison : « Je veux bien que la langue espagnole demeure à l’Espagnol, l’allemande à l’Allemand, mais toute la françoise doit être à moi[4]. » La France du XIXe siècle, du moment où elle mettait au monde une Italie destinée à vivre comme nation et comme Etat, n’avait pas moins de raison de lui dire : « A toi la langue italienne seulement. » Or l’on a beaucoup discuté, en 1860, sur la nationalité de Nice, qui ne ressortait peut-être pas aussi nettement française que celle de la Savoie ; mais, pas plus dans le Parlement subalpin que dans la presse italianissime la plus passionnée, nul n’est parvenu à établir que le patois des Niçois soit plus italien que le provençal des gens de Toulon et de Marseille ; et, en fait, si un tel axiome de linguistique avait pu s’établir, autant eût-il valu décréter que le français des gens de Tours ou de Rouen est de l’italien aussi : n’est-il pas, comme l’italien lui-même, un dialecte dérivé du latin ? Pour se faire une idée

  1. Voir le Prince Albert, par sir Théodore Martin ; traduction française par Augustus Craven, tome II, p. 389.
  2. Voir le Prince Albert, tome II, p. 389.
  3. Ibid.
  4. Henri Martin, Histoire de France, tome X, p. 559.