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connaissance personnelle[1]. » Et pendant tout le temps du séjour du prince à Boulogne, ces impressions favorables ne font que s’affirmer, ainsi qu’il résulte des lettres qu’il écrivait heure par heure à la reine son épouse. L’empereur a été pour lui « amical et cordial » ; il est « beaucoup plus gai qu’on ne le représente habituellement ». « J’ai eu deux longues conversations dans lesquelles il a parlé très judicieusement… Il est décidé à considérer notre alliance comme dominant toute autre considération. » Dans son journal, il écrit, à la date du 7 septembre, dernier jour qu’il a passé à Boulogne, « qu’en somme », il a été « charmé de l’empereur » ; et à peine arrivé à Osborne, il se hâte de lui écrire pour lui témoigner sa reconnaissance de l’aimable réception qui lui a été faite : « La confiante cordialité dont vous m’avez honoré, lui dit-il, ne s’effacera jamais de ma mémoire. »

Et lorsque dans le « Memorandum de sa visite à Boulogne », dicté au général Grey, il retrace ses longues conversations avec l’empereur et les impressions qui lui en sont restées, il conclut en affirmant sa confiance « que l’empereur ne prendra aucune mesure violente ni dans la politique intérieure ni dans la politique extérieure »[2]. C’est par cette conduite adroite que l’héritier du captif de Sainte-Hélène sut rendre possible et affermir son alliance avec les successeurs des geôliers de son oncle. Ainsi la guerre d’Orient, poursuivie en commun avec l’Angleterre, vint bientôt permettre à la France de reprendre la place qui lui était due dans le concert des puissances. Le souverain dont l’armée avait conquis Sébastopol, dont la diplomatie avait tenu le premier rang au Congrès de Paris, pouvait désormais dire hautement à l’Europe quelle était la ligue de politique européenne qu’il entendait suivre ; il pouvait tirer au besoin l’épée pour en assurer le succès. Or cette politique, dont les premières bases furent posées dans les entretiens secrets de Plombières, n’était autre que la politique d’Henri IV : créer dans la haute Italie, sous le sceptre du roi de Piémont, un royaume italiens assez fort pour annuler à jamais la puissance autrichienne dans la Péninsule, et grouper autour de ce royaume les autres États italiens sous forme de fédération ; en compensation, donner à la France sa frontière naturelle du côté des Alpes ; de manière que la force respectable dont se trouverait investi ce nouvel État italien, créé à ses portes, ne pût être dans l’avenir un sujet d’appréhension pour elle-même.

  1. Voir sa lettre du 5 juillet 1854.
  2. Le Prince Albert, tome I, p. 491 à 514.