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dans des coquilles ou des cuirasses. Ils manifestaient peu d’activité, car plusieurs d’entre eux n’étaient pas seulement emprisonnés, mais aussi enchaînés ; leurs enveloppes devaient gêner leurs mouvemens ; j’ai rappelé que les premiers vertébrés ont eu une colonne vertébrale incomplètement ossifiée qui donnait un insuffisant appui à leurs muscles. Nous pouvons également assurer que les anciens êtres avaient une faible intelligence, à en juger par ceux d’aujourd’hui qui en diffèrent le moins.

Dans l’ère secondaire, les continens ont vu la force brutale parvenue à son apogée sous la forme des reptiles dinosauriens ; les invertébrés et les vertébrés se sont beaucoup multipliés et différenciés. Mais les facultés qui marquent le perfectionnement suprême des êtres animés étaient incomplètes ; il y avait encore dans le monde peu de sensibilité et d’intelligence.

Pendant l’ère tertiaire, la dimension du corps des animaux terrestres a un peu diminué ; les plus majestueux mammifères, dinotherium, mastodonte, éléphant, n’ont pas égalé les dinosauriens secondaires. En compensation, il y a eu progrès dans l’activité, la sensibilité et l’intelligence ; ces progrès ont été continus depuis l’aurore du Tertiaire jusqu’au temps miocène qui marque le summum du monde animal.

Enfin, dans l’ère quaternaire à laquelle l’époque actuelle appartient, pendant que les océans nourrissent les plus grands animaux marins, la force brutale diminue toujours sur les continens ; les mammifères ne sont plus aussi imposans ; mais voici le règne de l’homme où se résument, se complètent les merveilles des temps passés : il conçoit l’immatériel, et s’il ne peut bien comprendre l’œuvre de la création, du moins il l’entrevoit, rendant à son Auteur un hommage que nul être ne lui avait encore offert.

Ainsi, l’histoire du monde nous révèle un progrès qui s’est continué à travers les âges. Ce progrès s’arrêtera-t-il ? J’ignore si, dans l’avenir, les plantes porteront des fleurs plus belles, des fruits plus délicieux. Je ne sais si les animaux s’amélioreront, mais ce qu’on peut assurer, c’est que l’homme n’a pas atteint son perfectionnement. Nous n’avons pas fini la série des inventions qui changeront la face de la terre ; nous n’avons pas élevé nos âmes autant que nous pouvons le faire ; à côté de quelques heureux, il y a beaucoup d’hommes qui souffrent, et on n’a point efficacement pensé à employer, pour le bonheur de nos frères déshérités, les forces qui sont dépensées pour la guerre. Nous, paléontologistes, dont la vie se passe à constater les progrès des êtres animés à tous les âges, nous devons être pleins d’espoir ;