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imaginerons toutes les forces physiques ou chimiques, elles ne feront pas une force vitale et surtout une force pensante. C’est donc la cause première, c’est-à-dire Dieu, qui crée les forces.

Plusieurs philosophes ont cru que Dieu avait à l’origine créé des forces auxquelles il avait donné le pouvoir virtuel de se modifier. Lorsqu’on suit le développement des membres chez plusieurs des mammifères tertiaires, on voit que d’abord ils ont eu cinq doigts, puis qu’ils en ont eu quatre, puis trois, puis deux et enfin un seul ; on pourrait donc supposer qu’ils ont subi simplement des diminutions. Mais à côté de ces diminutions, il y a eu de nombreuses apparitions d’organes nouveaux et de fonctions nouvelles, de telle sorte qu’il faut bien admettre des créations successives de forces. Dans tous les cas, soit qu’on pense que Dieu a fait chaque force, soit qu’on suppose qu’il a multiplié et modifié une partie des forces qu’il a créées, il me semble que l’activité divine s’est manifestée d’une manière continue.

En faisant ainsi intervenir Dieu sans cesse dans la nature je me trouve très près du panthéisme qui met Dieu partout. M. Paul Janet a dit : Quel est le métaphysicien qui, après avoir distingué Dieu et le monde, cherchant ensuite à les réunir (car c’est à quoi il faut arriver), ait toujours montré une parfaite logique et une vraie lucidité ?… Si vous séparez trop Dieu et le monde, vous tombez dans le dualisme antique ; si vous les unissez trop, vous courez le risque de tomber dans le panthéisme. En vérité, quand on se place uniquement au point de vue de la nature, on a facilement des tendances vers le panthéisme ; ces tendances sont le résultat d’une admiration excessive des merveilles que nous découvrons toujours et partout. Qui donc a contemplé la voûte du ciel avec ses astres innombrables, sans être une seule nuit tenté de s’écrier : Indéfini des espaces, ne seriez-vous pas l’être infini lui-même ? Quel voyageur, rencontrant au sommet d’une montagne solitaire des fleurs charmantes, embaumées, n’a été disposé à leur dire : Fleurs dont la beauté m’entraîne vers l’idée du beau absolu, n’en seriez-vous pas un effluve ? Celui qui entrevoit le monde passé avec sa perpétuelle et incompréhensible fécondité peut le trouver tellement grand, tellement puissant qu’il se demande si ce n’est pas quelque chose de Dieu lui-même.

Mais on ne saurait faire abstraction de l’humanité qui semble la merveille à laquelle a abouti la création. Si le monde se confond avec Dieu, les hommes qui font partie du monde se confondent aussi ; ils n’ont plus de personnalité, et comme, sauf de rares exceptions, ils croient fermement à leur personnalité, il faudrait en conclure qu’ils ne sont que des insensés. Nous ne