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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 134.djvu/285

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M. Paul Bourget (comme plus tard M. Rod) a introduit dans le roman les préoccupations morales et même religieuses. Les travaux de M. Brunetière et sa lutte héroïque contre le naturalisme n’ont pas besoin d’être ici rappelés. Tout récemment encore, dans une éloquente conférence, il montrait la « renaissance de l’idéalisme » au point de vue de la littérature et des arts. Non moins présens à la pensée de tous sont les efforts de M. de Vogué pour agrandir notre horizon moral et littéraire. Grâce à lui et à plusieurs autres, on a demandé des inspirations à Tolstoï, à Dostoïewsky, à Tennyson, à Browning, à Ibsen et à Bjornson, à Wagner même, à tous ceux qui eurent « la religion de la souffrance humaine. » Si M. Jules Lemaître a maintenu plus volontiers dans la critique la tradition française, il n’a pas cessé, sous les apparences d’une pensée fluide et légèrement ironique, de rester attaché aux plus hautes doctrines morales et sociales, que M. Faguet, de son côté, a fermement défendues. Quant à M. France, est-il aussi sceptique qu’il en fait montre ? Nous ne le croyons pas, et nous ne saurions oublier tant de belles pages où, lui aussi, il ramenait nos pensées vers l’idéal. Il y a quelques années, on a vu se fonder une « Union pour l’action morale » sous l’inspiration de M. Paul Desjardins, qui, sans être lui-même philosophe, avait emporté de l’Ecole normale le culte de la philosophie idéaliste. On ne saurait trop encourager les Unions de ce genre, qui, peu à peu, agissent sur l’opinion et la ramènent au souci des choses sérieuses. Morale et métaphysique ne doivent point se séparer. Quand nous parlons des questions suprêmes, notre langue est trop imparfaite ; certains Indiens, ne pouvant se comprendre sans les gestes, sont obligés la nuit d’allumer un feu pour converser et s’entendre ; la métaphysique se comprend mieux jointe à la morale, comme la parole aux actions. Toutefois, on ne saurait oublier que la théorie doit toujours dominer et régler la pratique. L’Union que préside M. Paul Desjardins ne rapproche ses membres que par sa communauté d’intention morale, non par une croyance déterminée. Elle ressemble à la Société éthique que M. Adler a fondée aux Etats-Unis, mais elle se montre moins active et moins pratique : privée d’une foi précise, elle n’aboutit pas à des œuvres assez précises, elle semble ainsi arrêtée à moitié chemin, dans le domaine un peu trop neutre des bonnes intentions. Or, ce dont nous avons surtout besoin, — surtout en France, où les idées ont plus d’ascendant que partout ailleurs, — c’est précisément d’idées nettes sur lesquelles l’entente ait lieu. Une union morale fondée sur la simple harmonie des bonnes volontés est sans doute précieuse, surtout dans l’ordre social, où on peut s’accorder