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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 134.djvu/346

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boue. Le cas paraîtra moins plaisant, pour peu qu’on veuille bien songer au prix dont un pays gouverné de la sorte a dû payer les dissensions de ses chefs. Barras va nous montrer qu’elles ont coûté cher, en effet, non seulement à la France, mais aussi à la liberté et à la République.


II. — LES PROCÉDÉS DE GOUVERNEMENT : 1o LA « POLITIQUE DE BASCULE »

D’un gouvernement, cet étrange pouvoir exécutif à cinq têtes n’a d’ailleurs que les apparences. Emanation de deux assemblées, les Anciens et les Cinq-Cents, que troublent de profondes, d’incurables divisions, le Directoire exécutif est comme elles en proie à l’esprit de parti et docile à toutes les suggestions de cet esprit.

Parti lui-même, il n’a pas la force de s’élever au-dessus des autres partis, de les dominer, de les rappeler à la concorde, de la leur imposer, s’il le faut, au nom de quelque haute et généreuse pensée de réconciliation nationale. Sans doute, les Directeurs s’appliquent à reproduire le geste et l’accent de leurs devanciers : pauvre parodie qui ne trompe personne, car il leur manque le souffle de foi qui rendait si vibrante la parole des grands conventionnels. Certes la Patrie, la Liberté, la haine des tyrans sont encore sur leurs lèvres. Mais quelque chose s’est insinué en eux, un ferment corrupteur que ne connaissaient guère les hommes de l’âge héroïque auxquels ils ont succédé : calculs égoïstes substitués à l’amour ardent de la chose publique ; arrière-pensées d’intérêt personnel influant sourdement sur la direction donnée à la politique intérieure ou étrangère, sur le choix des généraux, des ministres, des moindres agens ; favoritisme éhonté, exerçant une répercussion funeste sur les affaires du pays ; toutes les misères, enfin, d’un régime où la conception des véritables devoirs d’un gouvernement s’est à ce point affaiblie, que les détenteurs du pouvoir sont les premiers adonner l’exemple d’exploiter l’État au lieu de le servir. Une des mesures du Directoire dès ses débuts n’est-elle pas d’assurer une indemnité pécuniaire à celui de ses membres que le tirage au sort privera chaque année de sa lucrative fonction[1] ! À ce trait, mesurez la distance qui sépare les nouveaux maîtres de la France du laborieux et intègre Comité de Salut public.

  1. Mémoires de Barras, t. II, p. 33. L’indemnité devait être constituée d’abord par un prélèvement annuel sur le traitement de tous les membres. Mais bientôt on rejeta sur les finances de l’État cette charge importune.