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à portée d’accourir, le cas échéant, et de prêter, dans Paris même, main-forte aux « triumvirs » ; envoi secret à Paris de son chef d’état-major Chérin, qui vient, dès le 2 fructidor, assister Barras dans la préparation du complot tramé contre les Conseils[1] : il faut qu’on s’y résigne, Hoche a trempé dans le coup d’État. « Toutes ses démarches, déclare M. Albert Sorel, tendent à prouver qu’il avait partie liée avec Barras, et qu’il n’attendait qu’un ordre pour engager l’action[2]. » Mais qui donc a distrait le chef de l’armée de Sambre-et-Meuse des besognes héroïques qui lui étaient plus familières que ces basses œuvres de la politique où nous rougissons de le voir engagé ? Qui donc a fait du Pacificateur de la Vendée un général de pronunciamiento ? Qui donc l’a suborné, l’a débauché de son devoir, de sa gloire ; qui donc, sinon le gouvernement lui-même, a poussé le vainqueur de Neuwied à donner, le premier, l’exemple de méditer un attentat contre la représentation nationale, d’en appeler, contre les institutions de son pays, aux baïonnettes de ses soldats ? Et qui pourrait être assez aveugle pour ne pas voir que si les intentions de Hoche et de Bonaparte ont différé, la conduite du premier en l’an V annonce déjà celle du second en l’an VIII et que Fructidor et Brumaire, enfin, sont deux frères jumeaux nés d’une même mère, la rébellion contre la loi ?

Hoche du moins est resté étranger à l’exécution du coup d’Etat : non pas de son plein gré, d’ailleurs, et tout simplement parce que le Directoire, au dernier moment, préféra les services d’un moins important et par conséquent plus docile et plus sûr auxiliaire. Mais que dire du rôle qu’Augereau — l’Augereau de Castiglione — a joué dans l’événement ! Ecoutez Barras : « Augereau avait bu quelque peu de vin de Champagne pour se préparer… En apercevant Hamel, il lui arracha ses épaulettes et poussa la dureté jusqu’à lui en battre le visage[3]… » Voilà par quels exploits de policier ivre et brutal l’intrépide soldat d’Italie se signale au 18 Fructidor, voilà le titre rare qu’il a conquis à la récompense qu’on lui décerne quand « il n’est plus utile à Paris[4] » ; voilà enfin les emplois que destine ce gouvernementaux plus illustres chefs de nos armées ! Car il a pensé à Bonaparte et à Moreau comme à Hoche[5] ; il a hésité entre Bernadotte[6] et Augereau.

  1. Sur cette participation de Hoche au 18 Fructidor, voir Mémoires de Barras, t. 11, p. 497 et 498 ; t. III, p. 7.
  2. Voir Revue de Paris du 1er août 1895, les Vues de Hoche, par M. Albert Sorel.
  3. Mémoires de Barras, t. III, p. 19.
  4. Voir t. III, p. 40.
  5. Albert Sorel, ubi supra.
  6. Mémoires de Barras, t. III, p. 16.