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effrayassent beaucoup l’Empereur, car il finit par se prononcer pour la réunion des deux justices. Fidèle à son idée de la suprématie du civil sur le criminel, il voulut cette réunion, dit-il, « pour former de grands corps, forts de la considération que donne la science civile. »

On peut trouver fâcheux les effets que cette réunion a produits. Si depuis cent ans un corps de magistrats attentifs, expérimentés, avait consacré tous ses instans à l’étude des problèmes du droit criminel, peut-être cette science aurait-elle marché avec le siècle. On n’aurait pas résolu les questions insolubles, mais on aurait trouvé des solutions d’une meilleure justice relative, et le droit criminel ne serait pas, comme il l’est aujourd’hui, une branche presque abandonnée de notre science judiciaire. Les choses ont suivi un autre cours, et on nous demandera sans doute si nous sommes aujourd’hui partisan de la séparation des deux justices.

Bien que sur cette question, comme sur toutes les autres, nous prétendions réserver nos conclusions à la dernière partie de ces études, il nous faut sur ce point prévenir tout malentendu. Nous ne croyons pas, à l’heure qu’il est, les esprits préparés à cette séparation radicale. Mais nul ne peut refuser de convenir avec nous qu’il est désirable de former dans la magistrature quelques criminalistes ouverts aux idées modernes, renseignés à la fois sur la science pénale et sur l’effort des sciences voisines, en un mot de mieux préparer à leur tâche les magistrats chargés de présider la Cour d’assises. Peut-être à cette intention faudrait-il, à un certain moment de la carrière, spécialiser quelques-uns d’entre eux, les attacher pour un temps plus long à des services criminels. Nous préciserons nos vues sur ce point ; aujourd’hui bornons-nous à constater que notre Cour d’assises est présidée par un magistrat désigné par le Parquet, et choisi parmi des civilistes. Maintenant que son origine nous est connue, examinons-le dans sa fonction.


V

L’acte le plus caractéristique de la fonction du président, telle qu’elle est actuellement comprise, c’est à coup sûr l’interrogatoire. Nous avons déjà eu l’occasion de montrer que cet examen de l’accusé par le président, qui ne semble point prévu par la loi, a le plus souvent des dimensions et des allures qui ne nous paraissent pas d’accord avec la dignité de la fonction du juge. Nous avons opposé à ce sujet, aux allures militantes de notre président d’assises, la réserve stricte observée par le juge britannique, et nous n’avons