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en général plus sévère pour la parole du ministère public que pour celle de l’avocat.

Que l’avocat général se garde donc d’user sans modération de ses privilèges ! Pour les réduire à néant le jury possède toujours un moyen souverain, qui est son « droit de réponse » aux réquisitoires qui ne lui plaisent pas : l’acquittement.

L’avocat général qui aurait usé jusqu’au bout des droits qui lui sont conférés obtiendrait donc un résultat certain : celui de rendre plus sympathiques et plus séduisantes les paroles de pitié et de miséricorde que le défenseur va maintenant faire entendre.


X

On sait que Bonaparte aimait peu le barreau. « Les avocats, disait-il, sont sans doute sans importance par rapport au gouvernement, mais ils en ont beaucoup par rapport aux jurés, car ils séduisent, par des discours captieux, ces hommes peu accoutumés à démêler un sophisme. » Il faut, ajoutait-il, que « chaque juge puisse demander la répression de l’avocat qui en impose ou qui s’oublie. »

De tels sentimens inspirèrent un certain article 311 du Code d’instruction criminelle, qui chaque jour encore, au début de l’audience, donne lieu à la Cour d’assises à un manège singulier. Le défenseur se soulève à demi sur son banc, et, inclinant la tête, il reçoit du président, ainsi qu’une bénédiction balbutiée à voix basse et rapide, l’avertissement « de ne rien dire contre sa conscience ou contre le respect dû aux lois, de s’exprimer avec décence et modération. »

C’est un étrange avis, car autant il est nécessaire que le juge ait l’autorité suffisante pour réprimer tout écart de parole, autant il est fâcheux qu’une injonction comme celle de l’article 311 paraisse, dès l’abord, rompre l’égalité entre l’accusation et la défense et traiter celle-ci en suspecte.

D’ailleurs tout avocat habile, loin de se plaindre de ces petits mauvais procédés du Code, sait y trouver un bénéfice sûr. Sous l’injonction du président, il se penche, abattu, et comme une victime condamnée par avance… les jurés le vengeront bien !

Laissons donc cette mise en scène. Il faut que la défense soit libre, voilà le principe qui domine tout. Dans ce domaine de la procédure pénale, nous n’avons pas fait assez de conquêtes, certes, pour ne pas tenir à garder celle-là. La liberté de la défense doit être sauvegardée avec un soin d’autant plus jaloux, que,