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l’opposition que le roi y a faite, c’est sur la Couronne que la responsabilité en retombera. Une dynastie aussi ancienne que celle des Habsbourg, en Autriche, a pu supporter les plus grands désastres militaires de ce siècle sans en être ébranlée ; la popularité personnelle de l’empereur François-Joseph n’en a pas été le moins du monde entamée. Qui pourrait assurer que les choses se passeront de même pour la dynastie de Savoie en Italie, pour le roi Humbert ou pour son fils ? L’instinct auquel le roi a failli se laisser entraîner pendant deux ou trois jours ne le trompait donc qu’à demi. Malheureusement sa situation était inextricable : il n’a eu que le choix entre des inconvéniens et des dangers presque égaux, dans tous les partis auxquels il pouvait s’arrêter. S’il avait résisté à la volonté immédiate du pays, le péril était pour aujourd’hui même ; en y cédant, qui sait à quelle sévérité de l’opinion il s’est exposé pour la suite ? Problème délicat et cruel, sur lequel nous ne voulons pas insister davantage. Les journaux étrangers l’ont fait plus que nous, et il y a eu même quelque chose d’assez imprévu dans la diversité des opinions qui ont été exprimées en France et par exemple en Allemagne. Il aurait peut-être mieux valu pour nous que les Italiens persistassent quand même, contre vents et marées, dans leur entreprise africaine ; et cependant, sous l’influence d’un sentiment généreux, puisqu’il était désintéressé, la presse française presque tout entière a approuvé l’arrivée au pouvoir de M. di Rudini, avec son programme prudent et restrictif. Les Allemands, au contraire, auraient dû voir avec un secret plaisir leurs alliés italiens cesser de gaspiller leurs forces dans une aventure ruineuse, et les conserver intactes pour des éventualités européennes ; et cependant la presse allemande n’a pas caché à l’Italie qu’elle ne pouvait pas se résigner à sa défaite sans perdre en considération dans le monde. La grandeur d’un pays ne se compose pas seulement, à l’entendre, d’avantages matériels, mais aussi de quantités impondérables, de valeurs purement morales, auxquelles on ne peut pas renoncer sans déchoir. Les journaux anglais ne sont pas éloignés de tenir un langage analogue, mais on peut les considérer comme intéressés à ce que les Italiens, même au prix des plus grands sacrifices, continuent d’occuper Kassala et de détourner contre eux une partie des forces mahdistes. On voit que la question a des faces multiples, et ce n’est pas tenir un assez grand compte de la complexité des choses que de condamner sommairement les hésitations du roi Humbert et de ne pas comprendre ses anxiétés. Les rois voient peut-être de plus haut et de plus loin que les simples particuliers, et s’ils ne raisonnent pas toujours comme eux cela ne veut pas dire qu’ils raisonnent nécessairement mal.

Quoi qu’il en soit de l’avenir, l’arrivée au pouvoir de M. di Rudini a produit en Italie une détente immédiate, et a été accueillie en Europe, avec satisfaction. L’homme est connu. Ce n’est pas la première fois qu’il