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qu’il ne serait pas même vu de son mari ; qu’ainsi je pourrais me livrer à tous les épanchemens de mon cœur.

Dans ces momens où se préparait la guerre ouverte, mais où se faisait déjà la guerre occulte avec tous les moyens les plus actifs, lorsque chacun avait sa police et sa contre-police, il fallait bien que j’eusse la mienne, lorsque nous n’étions sûrs d’aucun de nos ministres. Sans que j’attache beaucoup d’importance à tout ce qui se fait ordinairement par voie de police ou se dit en son nom, je n’avais guère pu repousser les soins de quelques hommes qui se présentaient à moi avec tout l’extérieur du dévoûment, du patriotisme et les démonstrations les plus obséquieuses. Parmi ceux qui se faisaient fort de pouvoir nous tenir le plus au courant, parce qu’ils pénétraient partout, Fouché se trouvait en première ligne. Au nom même de tous les antécédens qui lui avaient été le plus reprochés dans la Révolution, il se présentait comme ayant la première initiation, celle qui nous procurerait les meilleurs renseignemens sur tous les partis que le Directoire avait intérêt à connaître et à surveiller. Je recevais donc tous les jours de Fouché des notes policielles.

Les inspecteurs de la salle ont depuis longtemps leur police, D’Ossonville en est le chef. Des cartes et des fusils sont distribués aux conjurés. Bretonnau, l’un des distributeurs, est arrêté. C’est sur Pichegru que comptent les factieux : un extrait de son discours est répandu avec profusion dans les départemens ; on l’avoue publiquement pour chef des conjurés. Carnot et Barthélémy votent contre toutes les mesures salutaires qu’arrête la majorité du Directoire : l’un et l’autre paraissent plus rassurés à mesure que la crise approche.

Le Directoire s’occupe de la destitution et du remplacement de plusieurs administrations. Ces mesures sont commandées par les événemens. Le ministre de la guerre veut ménager tous les partis : il a fait baptiser son enfant par Pichegru. Les provocations des royalistes se succèdent au Corps législatif. Marbol, aux Anciens, signale la contre-révolution des Cinq-Cents. Les républicains de cette Chambre ne craignant point d’apostropher les amis des prêtres et de la royauté, ceux-ci vocifèrent contre le Directoire. La résolution relative au Bas-Rhin est rejetée. Les chouans des Conseils continuant à se distribuer les rôles, quelques-uns d’eux s’étaient chargés d’amuser le Directoire. Le président Siméon, ou complice ou dupe, est dirigé à ce sujet vers moi ; je lui réponds : « Au lieu de personnalités, vous devriez rendre des lois sévères contre les émigrés, contre les prêtres et contre les royalistes ; vous devriez vous occuper des finances, du Code civil et d’autres lois urgentes : voilà le moyen de calmer les