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flanc les chevaux de poste. Les Messageries, dont plusieurs administrateurs figuraient parmi les concessionnaires de l’Ouest et de l’Orléans, comprirent le danger et, se réembarquant, cédèrent la place de bonne grâce. Passée dès lors « maritime », la compagnie mit à flot ses diligences, ses épargnes et son crédit. Armand Béhic établit ses comptes, Dupuy de Lôme traça le plan de ses navires, — il fallut acheter ceux du début à la Grande-Bretagne. — Du Périclès, mis en chantier à l’origine et depuis longtemps défunt, à l’Ernest-Simons lancé en 1894, cette compagnie a construit 102 bâtimens, dont le premier avait une force de 450 chevaux et le dernier une de 7 000 ; tel est le chemin parcouru. Ces bateaux, répandus d’abord dans la Méditerranée, pénètrent en 1857 dans la Mer-Noire et le Danube : franchissent en 1860 le détroit de Gibraltar pour attacher à Bordeaux les services du Sénégal, du Brésil et de la Plata ; poussent en 1862 jusqu’aux Indes, par le Cap ; étendent leurs voyages à la Chine, au Japon ; inaugurent enfin en 1882 la ligne d’Australie, reliée ensuite à la côte orientale d’Afrique. De 9 000 tonneaux qu’elle jaugeait à la fondation, cette flotte est passée à 200 000.

L’exploitation directe par l’État n’ayant pas mieux réussi sur l’Atlantique que sur la Méditerranée, le gouvernement s’efforça, là aussi, de passer la main. Mais les premiers concessionnaires ne furent pas heureux. Une compagnie, qui avait entrepris en 1847 le service du Havre à New-York, disparut après deux ans d’existence sans être remplacée. Il n’exista dans cette direction aucune ligne française jusqu’à 1858, où la société Marziou se chargea d’assurer des communications régulières entre l’Amérique et le Havre. Dans ce dernier port fonctionnait aussi, sous le nom de « Compagnie générale maritime », une entreprise dont les opérations répondaient mal à ce titre imposant, puisqu’elle ne possédait que six vapeurs, allant, les uns en Algérie, les autres à Hambourg, et quelques voiliers desservant la Californie. Cette association prospérait du reste sous la présidence de MM. Pereire. Par suite du désistement amiable de sa voisine, la Compagnie générale devint en 1861 transatlantique et, avec un programme plus étroit, son rôle effectif fut beaucoup plus vaste. Quel que soit le jugement porté sur les œuvres multiples et diversement heureuses de la famille Pereire, on ne saurait refuser aux instigateurs de la nouvelle société de navigation le génie des conceptions grandioses, servi par une audacieuse activité. Ces dons ne suffisent pas pour rendre les victoires durables, mais ils sont nécessaires pour vaincre, et la route de New-York allait devenir le champ de bataille des marines du monde commercial.