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triompher et mourir dans l’épique journée de Ravenne (11 avril).

A deux lieues de l’ancienne capitale de Théodoric et de Galla Placidia, dans une vallée traversée par les eaux paresseuses du Ronco, un petit monument appelé encore aujourd’hui la colonna de Francesi marque la place de cette bataille mémorable, la plus sanglante que connut jusque-là l’Italie depuis la chute de l’empire. Un tiers de l’armée victorieuse et deux tiers de l’armée vaincue périrent dans cette plaine le dimanche de Pâques 1512. On dit qu’à un certain moment de l’affreuse mêlée, la formidable artillerie du duc de Ferrare aurait ravagé sans distinction Français et Espagnols, amis et ennemis, et que, sur l’observation qui lui fut adressée à ce sujet, l’allié si précieux de Louis XII aurait répondu : « Laissez faire ; l’ennemi est tout aussi bien de ce côté que de l’autre… » Arioste a visité les lieux le lendemain du carnage : « Je fus là où les champs étaient rougis du sang barbare et latin, et je vis les morts si pressés les uns contre les autres qu’on ne pouvait poursuivre son chemin qu’en piétinant sur eux pendant plusieurs miglie[1]. » La fleur de la chevalerie française fut fauchée ce jour-là par la mort, et Gaston de Foix était du nombre. « Le roi a gagné la bataille, mais la noblesse de France l’a perdue », écrivit avec amertume le seigneur de Bayard. Du côté de la Sainte-Ligue, presque tous les capitaines de renom furent fait prisonniers : Fabrizio Colonna, Pedro Navarro, Juan Cardona, Pignatelli, Bitonto et le marquis de Pescaire, l’époux si tendrement aimé (si médiocrement sympathique au fond) de Vittoria Colonna et futur vainqueur de François Ier à Pavie. Parmi les captifs se trouvait aussi le nouveau légat pour la Romagne (à la place d’Alidosi), le cardinal Jean de Médicis ; dans un an il s’appellera le pape Léon X. Il a assisté à l’action en habits sacerdotaux, monté sur un cheval blanc turc : c’est sur ce même cheval qu’il tiendra à faire son fameux tour du possesso en 1513[2], et à être peint par Raphaël dans la fresque d’Attila.

  1. Eleg., X, 37-43 :
    Io venni dove le campagne rosse
    Eran del sangue barbaro e latino,
    Che fiera stella dianzi a furor mosse ;
    E vidi un morto all’ altro si vicino,
    Che, senza premer lor, quasi il terreno
    A molte miglia non dava il cammino.
  2. Le possesso est la procession que le pape, après son couronnement à Saint-Pierre, fait en grand cortège pour aller prendre possession de la basilique de Latran, siège de l’épiscopat romain. Le possesso de 1513 (4 avril, jour anniversaire de la bataille de Ravenne) est célèbre par la pompe extraordinaire que Léon X y a déployée. Le cheval turc, à partir de cette procession, se reposa dans les écuries du pape et ne fut plus monté par personne. (Voyez CancellieriI possessi, 1513.)