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fonder dans les pays où les moyens de production sont très avantageux, en Russie par exemple, dans l’Amérique du sud, au Japon, en Chine, des fabriques rivales des noires.

C’est ce qui s’est passé aux Indes, c’est ce qui se passe au Japon, c’est ce qui va se passer en Chine : et déjà les résultats de ce déplacement de la production industrielle sont très sensibles, bien que nous ne soyons qu’au début de l’évolution ; ils s’accusent avec netteté dans le ralentissement des affaires en Angleterre. Nous avons parlé tout à l’heure de la diminution des exportations de cotonnades en extrême Orient, mais cette diminution est générale. Le mouvement du commerce anglais, après avoir atteint le chiffre énorme de 18 milliards 776 millions en 1870, a subi un temps d’arrêt ; il est tombé au-dessous de 17 milliards. L’exportation générale des produits britanniques est tombée de 6 milliards 738 millions en 1890 à 5 milliards 396 millions en 1894, soit de plus d’un milliard, 1 milliard 342 millions en quatre ans ! C’est beaucoup. N’est-ce qu’une diminution momentanée ?

Pour en juger, quittons l’Europe, l’Amérique, l’Australie, les Indes, dont nous avons assez parlé, et portons nos regards sur le Japon, dont nous n’avons l’ait mention qu’incidemment jusqu’ici.


III

M. de Brandt estime que les Chinois sont bien supérieurs aux Japonais, qu’ils sont plus sûrs, plus intelligens, qu’ils ont plus de fond, et que l’hégémonie leur appartiendrait en Asie si tous les progrès, tous les actes même de l’administration la plus élémentaire, n’étaient pas rendus impossibles par les abus dont s’enrichit ou se nourrit un peuple de fonctionnaires sans scrupule, livrés à eux-mêmes au milieu de la désorganisation qu’ils ont bien soin d’entretenir puisqu’ils en profitent.

Il faut rendre cependant aux Japonais cette justice qu’ils savent se conduire et se conduisent non seulement avec beaucoup d’habileté, mais avec esprit. Le ministre du Japon en Angleterre prononçait récemment à Londres un discours dont l’ironie discrète, mais transparente, est très significative. Il adressait au commerce anglais toutes sortes de complimens ; il reconnaissait que l’industrie japonaise naissante faisait du tort à ce commerce, mais il ajoutait que les importations anglaises représentaient encore un chiffre élevé, et, bien loin de s’en plaindre, il disait : « Vos importations sont les bienvenues au Japon, elles ne nous font pas concurrence, elles nous sont utiles, elles nous fournissent des marchandises