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parle si longtemps, et avec tant d’élégance, que l’empereur, en l’écoutant, se sent repris de son doute. Il se demande si un tel congrès pourra vraiment produire quelque résultat : il songe qu’après tout son désir n’est pas de veiller au bonheur du monde entier, mais d’être un bon prince pour ses propres sujets. Qu’a-t-il fait pour eux ? Et n’est-ce pas un temps qu’il leur dérobe, celui qu’il emploie à ces grands projets internationaux ?

Un extrait de son journal intime, écrit quelques jours après, porte la trace des mêmes réflexions. Ottomar est épouvanté de sa faiblesse et de son isolement. Toujours hésiter, douter, passer de l’espérance à la désillusion ! Il envie le calme bonheur de sa femme, qui, d’instinct, par la seule grâce d’une nature droite et saine, s’acquitte si parfaitement de son rôle d’épouse, de mère, et d’impératrice. N’est-ce pas elle qui est dans la vérité ? Et son cœur se serre à la pensée qu’il va devoir s’éloigner d’elle, quitter ce frêle enfant qui a tant besoin de son appui. Mais il ne peut se dérober à l’obligation qu’il s’est imposée. Et il part, il entre en triomphe dans sa capitale. Toutes les rues sont pavoisées sur son passage. Une foule, accourue des quatre coins de l’empire, le salue comme le bienfaiteur, le sauveur des peuples, le Prince de la Paix.

C’est en effet la mode, en Liparie et dans l’Europe entière, de se passionner pour l’idée de la paix universelle. Dans les cafés, dans les salons, il n’est question que de paix, de désarmement, d’arbitrage, et d’autres grands mots de même genre. Les séances du congrès ont un succès prodigieux, toute la presse s’en occupe, les discours les plus insignifians sont reproduits, commentés, discutés, d’un bout à l’autre du monde. Mais surtout on admire le discours du jeune empereur : tandis qu’il a suffi à celui-ci d’entrer dans la salle des séances pour comprendre aussitôt, d’une façon désormais certaine et définitive, la parfaite inutilité de son entreprise. Des mots, rien que des mots ! Avec une résignation découragée, il subit le discours pompeux de Wlenczi, ceux des délégués des autres pays. Hélas ! quel bien pourra jamais résulter de ces vaines paroles ? Empêcheront-elles les hommes de souffrir, et de se haïr, et de s’entre-dévorer quand l’instinct fatal les y poussera ? Ce ne sont point des mesures générales, ni des congrès, ni des lois, qui peuvent assurer le bonheur de l’humanité. Mais alors que faire ? Se résigner, laisser les hommes à leur destinée, ou agir encore, tenter autre chose ?

Le congrès est clos. L’empereur revient au palais impérial, dans sa calèche, accompagné de deux aides de camp. A droite, à gauche, il salue, pour répondre aux acclamations de la foule, lorsqu’il aperçoit soudain, debout, devant le palais des Parlemens, un homme qui se tient immobile, la tête couverte, les mains dans ses poches, et qui