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une sorte de pudeur, n’a pas voulu favoriser cette fuite à la débandade. Elle a décidé qu’elle aurait encore quelques séances. Nous ne voulons pas dire par-là qu’elle ait l’intention arrêtée d’inaugurer des luttes nouvelles : de part et d’autre les forces sont, non pas épuisées, mais un peu fatiguées. Il était bon, toutefois, de bien marquer que chacun restait sur ses positions, et que si le champ de bataille paraissait devoir être déserté à la hâte, c’était par les prétendus triomphateurs. Le parti modéré, il faut bien le dire, n’avait pas eu depuis l’inauguration du ministère radical l’attitude qui convient à un parti d’action. Après quelques essais, quelques tentatives d’attaque qui n’avaient pas réussi, il s’était replié sur lui-même, inquiet, hésitant, intimidé, convaincu qu’il n’y avait pour lui rien à faire, ou du moins rien d’immédiat, et que la sagesse politique consistait de sa part à rester sur l’expectative. Toutes les fois que, chez un de ses membres, se manifestait la moindre velléité d’initiative, les autres se précipitaient sur lui, l’entouraient, l’enveloppaient, et tantôt directement, tantôt indirectement, ne négligeaient aucun moyen de lui faire sentir que sa hardiesse était jugée imprudente et ne serait pas soutenue. Combien de bonnes volontés, qui auraient pu se produire utilement, n’ont-elles pas été ainsi découragées ! Le centre de la Chambre en était venu à présenter un spectacle désolant. Il aurait fallu des volontés actives, et l’on ne trouvait que ce que Mirabeau a si bien caractérisé du mot expressif de « nolontés ». L’impossibilité de vouloir est la mort d’un parti politique. « Il est difficile, a dit très justement La Bruyère, de décider si l’irrésolution rend l’homme plus malheureux que méprisable, de même, s’il y a toujours plus d’inconvénient à prendre un mauvais parti qu’à n’en prendre aucun. » Le centre n’en prenait aucun ; il attendait on ne sait quoi, et le temps s’écoulait sans rien amener de favorable. L’opinion s’était naturellement répandue dans le public que c’en était fait de lui, qu’il avait abdiqué, qu’il n’existait plus. Il était tombé dans une léthargie si profonde que ceux qui le croyaient mort avaient pour eux toutes les apparences : un médecin, même expérimenté, s’y serait trompé. Pourtant il n’était pas mort, et ce qui vient de se passer en donne une preuve éclatante. Mais rien n’est plus dangereux pour un parti que de se laisser aller à ces intermittences d’inaction absolue, d’où on peut croire qu’il ne sortira jamais plus. Si c’est une tactique, c’est la pire de toutes, parce qu’elle n’est généralement pas comprise et qu’elle fait trop de dupes parmi ceux qui devraient en être complices. Ces choses-là ne se voient d’ailleurs qu’en France. Dans le reste du monde un parti Battu, — et il y a lieu de faire remarquer que le parti modéré n’a même pas été battu sur une question de son programme : il a été simplement évincé du pouvoir, — dans le reste du monde, un parti battu entre gaillardement dans l’opposition avec