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Savoyard proteste dans les termes les plus humbles de son désir « de rentrer dans l’honneur des bonnes grâces du roi », en réalité, c’est lui qui pose les conditions. Il veut affranchir le Piémont, en arrachant Casal à la France, et en recouvrant Pignerol. C’est le but légitime qu’il s’est proposé en entrant dans cette guerre, jusqu’à présent néfaste pour lui, et pour l’atteindre, il joue avec habileté de la situation que les événemens lui ont faite.

Guillaume d’Orange est l’âme de la coalition ; il souffle aux puissances qui la composent sa haine de la France. Mais c’est Victor-Amédée qui en est le nœud. C’est lui qui relie d’un côté l’Autriche à l’Espagne, de l’autre Guillaume d’Orange à l’empereur Léopold. Ce nœud défait, la coalition se dissoudra d’elle-même. Il le sait bien. Louis XIV le sait aussi. De là la hardiesse singulière avec laquelle Victor-Amédée, vaincu, n’en demande pas moins pour prix de sa défection, non seulement que ses États soient purement et simplement évacués, et que la France ne garde rien de ses conquêtes, mais qu’une indemnité de guerre lui soit payée, et que Pignerol lui soit rendu, démantelé. Moyennant cela, il sortira de la Ligue et s’emploiera auprès de l’Empereur et du Roi Catholique pour amener la paix générale. Si ses anciens alliés s’y refusent, il se rangera ouvertement du côté du Roi très Chrétien. De là aussi la patience avec laquelle Louis XIV écoute et discute ces propositions exorbitantes. Il consent à ne rien garder de ses conquêtes, pas même ce comté de Nice dont il s’est emparé, et qu’il soutient, en invoquant des argumens juridiques, n’être qu’une dépendance de l’ancien comté de Provence. Il consent même, non sans répugnance, à rendre cette place de Pignerol que Richelieu jugeait indispensable à la France. En retour de ces concessions, il ne demande qu’une chose : des garanties contre la mauvaise foi du duc de Savoie.

Quand il aura restitué toutes ses conquêtes, rappelé ses troupes et rendu Pignerol, qui lui répond que ce prince s’emploiera, comme il le promet, à la paix générale, et s’il y échoue, qui lui répond que, la guerre continuant, il pourra compter sur son alliance ? Aussi est-ce sur la question des garanties réclamées par Louis XIV, en exécution des promesses du duc de Savoie, que, pendant trois ans, roulera uniquement la négociation. Louis XIV voudrait conserver provisoirement certaines places, ou tout au moins les remettre entre les mains des Suisses, des Vénitiens, ou du Pape qui en demeureraient séquestres jusqu’à la paix générale. Victor-Amédée en propose d’autres. A peine celles-ci sont-elles acceptées, — car Louis XIV va de concessions en concessions, avec une modération toute nouvelle chez lui, — que Victor-Amédée soulève