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ambition. C’est le fruit unique qu’il se propose de cette guerre. Il lui a été promis par les traittés de la Ligue, et s’il ne les peut obtenir par un accommodement avec la France, on ne peut guère doutter qu’il ne hasarde tous les événemens de la guerre pour y parvenir[1]. » C’est, en effet, sur la question de la restitution de Pignerol et sur celle connexe des garanties demandées par Louis XIV en échange de cette restitution, que vont encore rouler pendant plus d’une année ce que Tessé appelle assez irrévérencieusement les chipotteries du duc de Savoie, chipoteries qui donnent lieu de part et d’autre à d’incessantes communications épistolaires. « Vous connaîtrez, écrivait Tessé à Barbezieux, par les papiers ci-joints, comme quoy si nous ne concluons pas des choses importantes, au moins escrivons-nous beaucoup, et comme quoy nous nous escrimons, M. le duc de Savoye et moi, car vous pouvez conter que son homme ne m’escrit pas un mot qui ne soit bien veu, corrigé, relu et examiné par luy-mesme[2]. »

Pour hâter les communications, Victor-Amédée sollicitait Tessé d’envoyer à Turin son secrétaire, un certain Valère, qui lui servait en même temps de copiste, et dans une longue lettre Tessé rend compte à Louis XIV du rapport dudit Valère. Le nom aidant sans doute, il semble qu’on assiste au récit d’une scène de comédie, Victor-Amédée essayant de tous les moyens pour obtenir quelque chose de ce messager subalterne, le tournant et le retournant de cent façons pour lui arracher quelque parole imprudente, tantôt le gracieusant, tantôt feignant la colère pour l’intimider ; Valère se cantonnant au contraire, comme un serviteur bien dressé, dans son rôle secondaire, se défendant d’être autre chose qu’un simple copiste, ne demandant qu’à souper quand on voudrait le faire causer, mais finissant cependant par dire avec fermeté au duc de Savoie qui voulait rouvrir avec lui la discussion sur certains articles : « Je suis ici pour obéir à Votre Altesse Royale, mais elle me permettra de lui dire que tout cela est inutile tandis que vous ne voudrès pas donner au Roy les assurances dont Sa Majesté ne peut se départir. Votre Altesse Royale mesme sçait bien que le Roy de Suède fut tué d’un coup de mousquet. M. de Turenne le fut d’un coup de canon. M. le prince de Condé est mort dans son lit, mais vous, Monseigneur, qui de la manière dont vous vous exposés, pouvès tous les jours avoir le sort des deux premiers, faites réflexion dans quel estat seroient les affaires du Roy si, s’estant dépouillé de tout ce que vous exigés, un successeur qui n’auroit pas pour Sa Majesté les mesmes engagemens de cœur que vous promettez, prenoit d’autres intérêts, tels que ceux dans lesquels Votre Altesse

  1. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 94.
  2. Dépôt de la Guerre. Italie, vol. 1313. Tessé à Barbezieux, 25 avril 1696.