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à prospérer ; quelques-unes joignent difficilement les deux bouts. Les Cunards, qui tiennent la tête dans l’Atlantique, après avoir donné, depuis plusieurs exercices, ce faible intérêt que les humoristes d’outre-Manche appelaient « le doux 2 pour 100 », n’ont pas réalisé l’an dernier un centime de bénéfice et ont dû demander aux réserves de quoi équilibrer les dépenses. La compagnie Hambourgeoise, de son côté, n’a distribué aucun dividende. En France, l’examen des bilans comparés de nos trois grandes sociétés montre que la tonne de jauge de leurs flottes figure pour une valeur de 225 francs aux Chargeurs, de 430 francs aux Messageries, de 770 francs aux Transatlantiques. L’écart d’appréciation est beaucoup plus considérable que ne le comporte la différence de ces navires entre eux. Les premiers estiment leur matériel moins qu’il ne vaut réellement, les seconds l’estiment juste, les troisièmes l’évaluent beaucoup trop haut.

Grâce à l’habileté de leur direction et à la nature de leur trafic, les Chargeurs réunis sont parvenus à réaliser des gains notables, dont ils n’ont eu garde de se vanter et, par un amortissement très rapide de leurs paquebots, se sont placés dans une situation hors de pair. Les Messageries, administrées avec la même sagesse, mais soumises aux exigences de services subventionnés, font noblement leurs affaires sans espoir de profit important. Quant aux Transatlantiques, plus concurrencés, moins économes peut-être, pour avoir trop longtemps voulu servir à leur capital un loyer nullement excessif de 5 pour 100, ils se sont placés dans une situation critique, dont l’abnégation de leurs actionnaires parviendra seule à les tirer. Ainsi, par l’émulation des divers pays d’Europe, l’industrie de la navigation à grande vitesse tend à devenir une affaire nationale plutôt que commerciale et comme un prolongement du budget des marines de guerre ; avec cette distinction, cependant, qu’administrée par des particuliers elle coûte trois ou quatre fois moins que si l’État la gérait de ses mains bienfaisantes. Cette exploitation privée se transforme insensiblement, comme beaucoup d’autres, en un organisme d’utilité publique.


Vte G. D’AVENEL.