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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 134.djvu/811

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l’antisémitisme et les utopistes du socialisme, sonnant chaque matin à l’envi la fanfare de l’assaut ?

Ici, surtout, nous devons prier le lecteur de ne pas oublier quel est notre but, et de ne pas chercher dans ces pages ce qu’il n’est pas de notre intention d’y mettre. Il ne s’agit point, pour nous, de décrire les opérations de la Bourse et les procédés de la spéculation, comme l’avait fait Proudhon dans son célèbre manuel, comme l’a fait, dans son dernier ouvrage, le regretté Claudio Jannet[1]. Notre but est différent, et tout en nous servant des études faites avant nous, tout en y renvoyant au besoin le lecteur, nous négligerons ce qui est trop technique, nous en tenant, de préférence, au côté moral et au côté social des questions financières, nous montrant partout plus curieux de l’homme que des choses, plus jaloux des intérêts spirituels que des intérêts matériels, et j’ajouterai, plus soucieux de la fortune publique et de la grandeur nationale que de la richesse privée. Cela, encore une fois, ne laisse pas que de rester un sujet assez vaste. Aucun ne prête à plus de confusion, aucun peut-être ne passionne davantage le public, et aucun n’est plus mal compris du public. Tout se réunit pour l’obscurcir : les déclamations de l’envie, les élucubrations de rêveurs ignorans, les rancunes des convoitises évincées, le chantage de la mauvaise foi. Il va nous falloir cheminer entre les broussailles et les ronces des préjugés, à travers l’épais fourré de préventions aveuglantes. Cela, grâce au ciel, n’est point pour nous arrêter. La finance, nous le savons, est devenue une région suspecte, une terre mal famée où les gens qui se respectent n’osent guère mettre le pied ; c’est une contrée mystérieuse sur laquelle courent des fables et des légendes. Raison de plus pour en tenter la description. Afin de n’être pas trop incomplets, nous serons obligés de diviser notre étude en plusieurs articles. Le premier aura pour objet la finance en général, et ce qu’on appelle l’internationalisme financier ; le second traitera du pouvoir de la haute banque et de ce que d’aucuns nomment la « bancocratie » ; le troisième sera consacré à la Bourse, à la spéculation, à l’agiotage ; un quatrième enfin sera réservé aux financiers eux-mêmes, aux potentats de la Bourse, à ceux que la jalouse admiration de leurs contemporains nomme les rois de l’Or. Cela fait, si nous espérons en avoir terminé avec la finance, nous n’en aurons pas encore fini avec l’argent. Si nous voulons donner à ce trop long travail des conclusions pratiques,

  1. Proudhon, Manuel du spéculateur à la Bourse, d’abord anonyme (1853-54) ; Claudio Jannet, le Capital, la Spéculation et la Finance au XIXe siècle (2e édition, 1893).