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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 134.djvu/89

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de se résoudre à en rejeter un seul. Ce sont là des règles que les bons esprits ont toujours suivies ; il est donc inutile de s’y appesantir ; mais je voudrais montrer comment M. Fustel les applique ; on saisira mieux de cette façon quelle était sa manière de travailler.

Il se propose de réfuter l’opinion de ceux qui placent le régime de la communauté des terres dans la vieille Germanie et qui regardent la « marche » indivise du XIIe siècle comme le débris d’une « mark » originelle et primitive. Pour cela, il passe en revue tous les textes où se lit le mot « marca », depuis le Vie siècle jusqu’au XIIe ; il les traduit ; il les commente, il en fixe la signification exacte ; et il aboutit à une théorie qui se résume ainsi : Au VIe et au VIIe siècle, « marca » a le sens de limite et indique la ligne séparative de deux fonds ou de deux royaumes voisins ; au VIIIe et au IXe, le terme conserve encore ce sens-là, mais il commence déjà à s’étendre des bornes de la propriété à la propriété elle-même. Jamais, en tout cas, la « marche » ne nous est signalée dans cette longue période comme une terre commune à tous les habitans d’une contrée ; c’est tout au plus si ce mot fait parfois allusion à une sorte d’indivision partielle qui ne ressemble guère à un système de communauté agraire[1]. Ces analyses se comptent par centaines dans les ouvrages de M. Fustel, et presque toujours elles sont très probantes.

Un modèle du genre, c’est le chapitre où il définit ce qu’était l’alleu. « On a construit sur ce seul mot, dit-il, tout un système. On a supposé d’abord qu’il désignait une catégorie spéciale de terres qui auraient été tirées au sort. De cette hypothèse on a tiré la conclusion logique que les Francs avaient dû, à leur entrée en Gaule, s’emparer d’une partie des terres et qu’ils se les étaient partagées entre eux par la voie du sort. D’où cette conséquence encore qu’il y aurait eu, à partir de cette opération, une catégorie de terres appelées alleux, lesquelles auraient eu comme caractère distinctif d’appartenir à des Francs, de leur appartenir par droit de conquête, d’être par essence réservées à des guerriers et de posséder certains privilèges, tels que l’exemption d’impôt. Ces déductions aventureuses ne sont pas de la science. » Et voici par quoi il les remplace. Il interroge successivement toutes les lois barbares — loi salique, loi des Ripuaires, loi des Thuringiens, loi des Bavarois — puis les formules, puis les chartes, et il établit par-là « que le sens du mot alodis à l’époque mérovingienne fut celui d’hérédité ; qu’un peu plus tard il a signifié la propriété

  1. Recherches sur quelques problèmes d’histoire, p. 325 et suiv.