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quelques voix, quelques parties s’en écartent, elles y seront bientôt ramenées. On attendra peut-être, on souhaitera leur retour, mais ce ne sera jamais en vain. Par la liberté, la fantaisie ou le caprice, — rappelez-vous la fausse rentrée du cor dans le premier morceau de l’Héroïque, — tout pourra sembler perdu ; tout sera sauvé au contraire, car le caprice sera toujours heureux, la fantaisie obéissante et la liberté disciplinée et soumise.

Pour comprendre quelle force, quelle vertu sociale possède parfois chez Beethoven une note, oui une note seulement, écoutez l’introduction de la symphonie en la. Dix mesures avant le début du vivace, la dominante, le mi, se détache inopinément de l’ensemble. Deux fois d’abord elle provoque l’accord de mi majeur, créant ainsi une première association. Mais celle-ci ne tarde pas à se dissoudre. Durant six mesures alors le mi résonne solitaire, et parce que ces mesures sont lentes, l’impression tonale de mi s’atténue par degrés et s’efface. La note cependant persiste ; à des hauteurs différentes, timbrée de sonorités diverses, elle se fait écho à elle-même. On ne sait plus maintenant ce qu’elle va donner, quel système de sons il lui plaira de fonder. Soudain, répétée, et plus vivement, elle s’enveloppe d’une harmonie inattendue ; elle crée une agrégation nouvelle : après l’accord de mi, l’accord de la. Mais à ce second accord de même qu’au premier, elle encore préside, commande, et c’est ainsi que de la même unité deux groupes successivement ont déjà procédé et dépendu.

Ce que fait ici une note, il serait aisé de montrer comment le fait ailleurs, partout ailleurs dans Beethoven, soit un rythme, soit une mélodie. Ainsi chacune des œuvres de Beethoven est une et multiple à la fois. Tout y est personnel ; tout y est mutuel aussi. C’est pour cela que Beethoven est le maître des maîtres. Il proclame et il applique également les deux lois égales de la vie sociale supérieure. Par lui nous pouvons apprendre, comme dit Bossuet encore, non seulement avec qui, mais sous qui nous devons vivre. Il nous propose le double idéal d’une solidarité universelle et d’une souveraine autorité.

Qui méconnaîtrait la vertu sociologique de la musique, alors que de l’œuvre d’un musicien se dégagent de telles leçons ? Il faut donc bénir la musique parce qu’elle émeut, parce qu’elle console ; il le faut encore parce qu’elle enseigne, parce qu’elle éclate non seulement aux âmes, mais aux esprits. Que tous ceux qu’elle aime, ceux qu’elle a marqués au front, s’efforcent de la faire éclater à l’esprit comme à l’âme des foules. « Consolatrice, consolatrice ! » lui criait naguère le héros d’un roman de George